Préambule

« Nous avons marché des jours et des jours !… Nous avons escaladé des tas de rochers !… Nous avons rôti au soleil et gelé sous la neige !… Nous avons dégringolé dans des crevasses !… Nous avons reçu des avalanches sur la tête !…

Pis que tout, euh… Grand mufti, le yéti m’a fauché une bouteille de whisky à peine entamée : la dernière que je possédais ! »

– Tintin au tibet –

Gamin, j’adorais lire et relire cette bande dessinée : j’étais intrigué par ce monde étrange, par ces peuples d’altitude, ces traditions séculaires, et ces montagnes incroyables. Les dessins de Hergé éveillaient alors en moi curiosité et admiration, en même temps qu’ils me permettaient de voyager par procuration.

Assis derrière mon ordinateur, me voilà en cette toute fin d’année 2016 à me dire que j’aimerais vraiment réaliser quelque chose de très grand – pour moi – à l’aube de mes 30ans.

Parmi plusieurs projets, il en est un qui m’attire particulièrement et depuis longtemps : transposer mes compétences d’alpiniste en Himalaya, sur un grand sommet. J’y songe depuis que j’ai commencé à grimper dans les Alpes, il y a de cela maintenant près de 10 ans.

Mais l’altitude, l’isolement, la vie dans cet environnement où l’homme n’a pas sa place… ce n’est pas exactement comme grimper dans les Alpes. Ce n’est pas tant le simple danger qui me fait obstacle, mais la multiplication des facteurs de risque, l’engagement que cela représente, et les dimensions titanesques de ces sommets.

Et puis, je me rend de plus en plus compte que de tirer sur des cordes fixes, payer des grands groupes pour « acheter » un sommet et/ou des prestations qui n’ont plus rien à voir avec l’alpinisme, au final, ça ne m’intéresse pas. Pire, ça me révulse.

Alors que ces réflexions me conduisent à envisager de repousser indéfiniment cette envie, je tombe soudain et par hasard sur une alternative à ces expéditions commerciales : un guide, Paulo Grobel, coutumier des ascensions Himalayennes à toutes sortes d’altitudes, habitué du pays, et qui propose de grimper là bas « comme chez nous ».

Comprenez en cordées constituées, sans corde fixe, sans oxygène, sans une tripotée d’assistants, d’intermédiaires et de prestations « complémentaires », en coopération avec des grimpeurs Népalais. Bref, de pratiquer « l’alpinisme » au sens noble du terme, en d’autres lieux, à de grandes altitudes, mais le plus simplement du monde.

En cherchant un peu plus loin, je découvre alors une expédition prochaine, au printemps 2017, sur un très beau sommet de plus de 7000m : l’Himlung Himal ; En bonus, il y est prévu d’ouvrir une nouvelle voie à la descente, en incorporant plusieurs jours d’autonomie en altitude… Banco ! J’ai enfin trouvé mon « gros projet » pour fêter ma nouvelle carrière de trentenaire !

Bien sûr, ça me fait toujours peur – particulièrement la dimension intimidante de cette première incursion en haute altitude – mais je me lance !

Le 16 avril 2017, l’avion qui vient de décoller m’emmène vers un défi plus grand et plus beau que tout ce dont j’ai pu rêver jusqu’à ce jour.

Notes importantes

« Si comme moi vous franchissez le pas, je vous souhaite sincèrement de connaître le même bonheur que j’ai pu connaître tout là haut »

Ce qui va suivre est un récit d’expédition, vu de l’intérieur ; Plus que des données factuelles sur ce que nous avons fait et voulu faire (vous trouverez tout ça sur le site de Paulo → http://www.paulogrobel.com/himlung-traverse) les mots qui suivent sont le simple reflet de mon journal de bord.

Aussi, il faut se souvenir qu’il y a autant d’expéditions que de guides et d’agences. Dans notre cas, nous avons eu le privilège de grimper sur cette montagne de la plus belle des façons : sans corde fixe (en dehors d’un court passage en main courante, en section non grimpante), sans s’abreuver d’O² à des altitudes qui ne le nécessitent certainement pas, en cordées de 2 ou de 3, et avec nos amis Népalais depuis Kathmandu jusqu’au sommet !

Un « 7000m » ou même un « 6000 » dans ces conditions n’est absolument pas recommandé sans un minimum de bagage technique, physique et mental. Si l’Himalaya vous attire, trouvez un guide compétent, diplômé, éthique et intègre, et discutez ouvertement de vos projets ; Il n’y a pas besoin d’être un super-alpiniste pour y prétendre, mais pour bien faire et en toute sécurité, il est bon d’avoir quelques « pré-requis » en fonction de vos objectifs d’altitude, de technicité, et d’engagement.

Là haut, la défaillance physique, physiologique et psychologique guette, et vous expose – vous et les autres membres de l’expédition – à des risques d’accident importants. Grimper en Himalaya ne s’improvise pas : les risques ne font pas que se cumuler, ils se multiplient.

Un oeudème pulmonaire ou cérébral peut très bien survenir sans préavis, et engendrer une issue fatale ; Les plus petites chutes ou bobos sont interdits, car là haut, l’aide et le secours sont rarement possibles.

Et si, à 7000m, vous n’êtes plus du tout en capacité de vous lever et de bouger par vous même, il y a de grandes chances que l’un de vos camarades ou votre guide doive laisser votre corps à la montagne, au fond d’une crevasse…

Soyez conscients des risques avant de vous engager dans ces belles aventures, et sachez renoncer ou reporter (comme dans toute aventure, finalement) si vous ne vous sentez pas prêts.

Et si comme moi vous franchissez le pas, je vous souhaite sincèrement de connaître le même bonheur que j’ai pu connaître tout là haut !

« A chacun son Everest »

Avant que ne se décide cette expédition, j’ai pris attache avec l’association « A chacun son Everest » dont la maison est établie à Chamonix.

Née en 1994 en grande partie par l’initiative de Christine Janin (1ère française à l’Everest, et 1ère femme au Pôle Nord, entre autres exploits sportifs notables), l’Association est destinée à l’aide des enfants atteints de cancer et de leucémie, et propose notamment des séjours en montagne ; Ces parenthèses « là haut » s’ouvrent dès 2011 aux femmes atteintes de cancer du sein.

Je vous invite à visiter leur site internet (https://www.achacunsoneverest.com/) pour y découvrir toute l’histoire, la richesse, et les belles aventures qui y sont vécues chaque année par tous ces enfants et toutes ces femmes incroyables !

Touché par cette cause, et particulièrement réceptif au parallèle évident entre le milieu de la montagne et celui de la rémission et de la guérison de la maladie, j’ai voulu apporter un modeste geste à cette attention.

Bien qu’il ne m’ait pas été possible de concrétiser à l’issue du voyage mon projet de levée de fond au travers de mon environnement socio-professionnel (pour des raisons malheureusement indépendantes de ma volonté) j’ai voulu soutenir cette si belle aventure ; Si il m’est à nouveau donné l’opportunité de grandes aventures, j’espère pouvoir à nouveau laisser le fanion de « A chacun son Everest » flotter aux confins du monde, et cette fois ci, pouvoir apporter un soutien encore plus concret !

Un immense remerciement à Marie, qui m’a laissé emporter le précieux drapeau en Himalaya. Ce petit bout de tissu chargé d’histoires bien plus grandes que moi a pu flotter au vent, loin au dessus des hommes, et juste au dessous du ciel.

Si l’histoire de cette association vous touche autant que moi, n’hésitez pas à les aider ; Le temps est valorisé autant que l’argent, et les initiatives de soutien demeurent toujours bienvenues et utiles.

Préparatifs et transports

« En débarquant de l’appareil pour l’escale, la tuile ! J’oublie mes billets et mon passeport dans l’avion… »

Le 16 avril marque le premier jour de ce nouveau projet. L’esprit, ce matin, est un peu embrumé des deux dernières semaines, où je n’ai jamais réussi à trouver correctement le sommeil ; L’enchaînement des événements a été rapide, et assez compliqué à gérer.

Il y a d’abord eu cette entorse de cheville, à moins de deux semaines du départ. Au cours d’une sortie « trail » et avec déjà 2h30 dans les jambes, mon pied est parti sur une pierre en pleine descente rapide ; Un gros craquement, un cri, des dizaines de jurons, et 4 heures pour rentrer à la voiture, située à moins de 6km de là…

Concrètement, j’ai sérieusement morflé chez le kiné, qui a miraculeusement réussi à me retaper presque entièrement en une dizaine de jours, même si aujourd’hui encore, il y a de l’instabilité et quelques boiteries indésirables.

La perspective de devoir évoluer en crampons des pentes variables, avec les contraintes articulaires que je connais bien, me fait quand même stresser ; La moindre rechute et c’est la fin de l’expédition.

A ce petit accident de parcours se sont additionnés de nombreux jours de travail non stop, une contracture violente au dos à trois jours de partir, et la nécessité de me plonger, tout de même, dans les préparatifs matériels de ce voyage.

J’occulte volontairement un dernier élément plus personnel, qui date du mois de mars : une belle rencontre, à l’issue malheureuse.

En bref, je suis fondamentalement heureux de prendre une nouvelle fois le train pour « Charles De Gaulle » aujourd’hui ; Je suis heureux de partir, de pouvoir partir, et de vouloir partir. La conjonction des mauvais esprits aura peut-être du mal à suivre la vitesse du TGV, et avec un peu de chance, elle restera sur le tarmac sitôt l’avion en l’air !

Mon collègue m’a déposé en gare de Strasbourg, le trajet s’est bien passé, mais la traversée de l’aéroport avec mes deux énormes sacs est tout de même un beau chemin de croix !

Je retrouve le reste de l’équipe pas bien loin de ma pause café ; Régis, Christophe, Christian, Bertrand, Isabelle, Christine, Denis et Jean François constituent les participants de cette aventure, et avec eux, nous partons retrouver notre guide, Paulo Grobel, à Kathmandu.

En débarquant de l’appareil pour l’escale, la tuile ! J’oublie mes billets et mon passeport dans l’avion… Bon, je récupère tout ça avec l’aide d’un fort sympathique agent des douanes, et tout va bien.

Décidément, la poisse n’a pas envie de me lâcher !

Pour la suite, au regard du temps d’attente conséquent, on décide d’un commun accord d’entamer quelques bières pour tuer le temps ; Très bonne idée, sauf dans l’avion, où je suis vraiment, mais vraiment, mal.

J’aurais réussi à tutoyer la perte de connaissance pendant 30 minutes de malaise absolu, et par deux fois ; Nausées puissantes, hyper ventilation, sueurs froides à répétition, et nous arrivons enfin à Kathmandu le 17 avril vers midi.

Sur le parking, nous sommes réceptionnés par Jangbu et Bishal, respectivement Expedition Leader et Directeur de l’Agence «Himalayan Travellers », qui nous conduisent dans le joli secteur de Bodnath où nous attend Paulo, au « Padma Hotel ».

Après une arrivée en douceur, nous préparons nos différents sacs à destination du camp de base – sacs qui partent immédiatement et que nous ne reverrons qu’au pied de la montagne, d’ici 7 ou 8 jours.

Une jolie soirée calme s’en suit, avec un tour au restaurant, et un tour aux alentours de l’hôtel pour profiter un peu de l’ambiance mystique de Bodnath.

Ma contracture à l’omoplate, mes petites douleurs de cheville et les ronflements de mon binôme Christian occuperont une grande partie de ma nuit.

Au petit matin du 18 avril, avec Isa et Christian, nous avons pour projet d’aller visiter le monastère de Kopan, sur les hauteurs excentrées de la ville ; Le taxi nous dépose… devant un édifice fermé.

Qu’à cela ne tienne, nous en profitons pour nous dégourdir les jambes sur un long chemin en balcon et sous une chaleur pesante, pour nous rendre à un second monastère… en travaux !

Malgré tout, c’est agréable de sortir un peu de la grouillante Kathmandu, et d’aller à la rencontre de sites qui reçoivent bien moins l’attention touristique que ceux de l’épicentre.

Une bonne marche nous ramène ensuite au bas des collines, jusqu’à retrouver la ville, et à prendre un taxi retour vers notre hôtel.

Nous poursuivons à pieds vers les jardins de Shechen, un lieu paisible à deux pas de Bodnath, où nous trouvons Paulo attablé. S’en suivent de lingues tirades sur le monde, la montagne, et les hommes, dans ce cadre enchanteur et calme.

Un crochet au Java Café avant le repas du soir, et nous y voilà, à goûter la très bonne cuisine Newar sur le toit de l’hôtel, juste en face de l’immense stupa de Bodnath ; Un régal, et une très belle ambiance !

A l’heure de se coucher, il faut penser à régler les montres pour 05 heures, l’heure du grand départ vers les montagnes.

Nous avons, le 19 avril, environ 200km à parcourir, d’abord en bus pendant près de 08 heures, et ensuit en 4×4 pendant encore 3h30. Les deux me sont aussi pénibles, mais le 4×4 pourrait me sembler plus « sûr » que l’immonde bus zigzagant sans trop de contrôle sur les routes Népalaises.

La météo n’est pas vraiment avec nous : le ciel est bouché, et la visibilité nulle. Malgré tout, sortir de Kathmandu et s’enfoncer dans ce Népal si rural demeure très agréable ; Les cultures sont diversifiées, et les terrasses, démesurées.

On ressent le besoin qu’ont les habitants des vallées de s’étendre au maximum sur tous les terrains praticables.

Lors de notre pause à Syange, nous pouvons apercevoir l’apparition fugace d’une immense arrête au dessus de nos têtes.

Nous nous attablons à la Waterfall Guest House, où nous passerons la nuit après de longues et intéressantes discussions.

Le lendemain est consacré à une dernière journée de jonction et de transport, avant de commencer enfin à marcher.

­Le « Jeep Express » vers Koto est avancé aux aurores, et mon séant déjà bien malmené va encore une fois profiter d’une piste à rebondissements !

Nous évoluons en balcons loin au dessus de la rivière, à flanc de falaise, sur un chemin incroyablement défoncé ; Le 4×4, pourtant très adapté aux franchissements, saute et frotte à maintes reprises. Nous grimpons parfois de véritables murs de pierres, et franchissons des lits de ruisseaux particulièrement scabreux.

Après environ 03 heures de cet incessant rodéo, nous stoppons enfin, pour de bon.

On retrouve ainsi l’usage de nos jambes bien engourdies par le trajet, juste après le repas de midi, où – entre les nuages – nous entrevoyons l’espace d’un instant le sommet du Manaslu, presque 5000 mètres au dessus de nous ; Magique !

Ainsi débute notre marche d’approche, pour deux petites heures en direction de Koto.

Nous évoluons en groupes ou seuls, à notre rythme, le long d’une piste ou sur un sentier. Ici les paysages sont encore très verdoyants, mais les gigantesques falaises qui enserrent la vallée commencent à donner le ton.

Je n’ai pas vraiment de douleur à la cheville pour le moment, et le dos ne semble pas vouloir trop se manifester ; Les massages en profondeur dans le 4×4 ont du faire effet …

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A destination, on prend possession des chambres, puis ce sera repas, douche, et longues discussions avec Christian avant de prendre l’air et d’essayer de faire quelques images.

Je me rend compte qu’à compter de demain je n’aurais plus accès à l’électricité pendant un très long moment, jusqu’à notre retour ici, et que je vais devoir ménager intelligemment les batteries.

Le soir tombe lentement sur la Guest House, et c’est un nouveau repas qui s’avance, et de nouvelles discussions intéressantes autour d’un thème pourtant « acquis » pour tous : la « bonne » façon de marcher.

On discute de marche consciente, d’être attentif à ses pas, à sa respiration, en somme, d’effectuer une marche qualitative synonyme de grandes économies ; En effet, dès demain, nous commencerons à nous élever, de 2500m à Koto, jusqu’à 3560m à Meta.

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Il faut désormais s’économiser, et adopter une marche d’approche en mesure de préparer nos organismes aux plus hautes altitudes que nous rencontrerons.

Nos échanges se poursuivent ainsi sur ce sujet et bien d’autres jusqu’à l’heure du coucher.

La marche d’approche

« J’ai la sensation d’être revenu au Zanskar, et les souvenirs affluent au gré des pas. »

Le 21 avril, il est désormais temps de se mettre en route vers les hautes cimes, et de commencer notre longue journée de randonnée.

Dès le début, le sentier borde la falaise, et nous évoluons quelques temps au creux de la roche, au dessus de la rive droite du torrent.

Une fois celui-ci traversé, le sentier traverse une magnifique forêt, où la lumière danse sous les arbres, et où les contrastes m’émerveillent en permanence.

Nous avançons à nos rythmes respectifs, puis nous nous retrouvons tous autour d’un thé à la table d’un lodge en construction dans cette épaisse forêt – le « Jungle Camp ». Puis la marche reprend, lentement.

Nous sommes partis ce matin sous un grand soleil, mais désormais, les nuages nous accompagnent, de même que le vent ; Lors de la pause repas en bord de chemin, la nébulosité est totale et les bourrasques se font violence.

J’ai beaucoup de mal à repartir après le repas ; Dès lors que les pentes se font plus soutenues, je me sens en difficulté. Je ressens une certaine fatigue, sans pouvoir déterminer si elle provient de la nuit un peu courte, ou d’une entrée plus compliquée que prévue « en altitude ».

Non sans peine, je rejoins Meta, arrivée du jour.

­Les mules ayant du retard – et donc une partie de nos affaires également – Paulo décide de passer la nuit en chambres. La pluie s’invite juste après, vers 15 heures, comme un fait exprès.

Lorsque je prend enfin possession de mon lit, je suis exténué et n’aspire qu’à la sieste ; Toutefois, il pleut sur mon lit, et la couette est déjà humide… Ce n’est pas vraiment idéal.

Je décale le lit, y installe mon matelas et le sac de couchage, avant de m’y glisser ; Une fois changé et après avoir enfilé plusieurs épaisseurs de vêtements chauds, je parviens enfin à trouver un peu de confort et de repos.

Le repas du soir me remet quand même d’aplomb très rapidement, tout autant que le ciel ; La pluie a laissé place à une myriade d’étoiles, et, si le froid est désormais prégnant, la beauté des constellations nous le fait totalement oublier !

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Le 22 avril, nous voilà repartis vers le haut, en direction de Kyang. Il s’agit d’une demi journée de marche peu difficile, dans un cadre magnifique ; D’ailleurs, dès le réveil, la vue est imprenable vers les contreforts de l’Annapurna III, à plus de 7900m, et de toute sa muraille de roc et de neige.

Le sentier que nous empruntons suit le lit de la rivière, au pied de grandes faces de roches. Le décor, essentiellement minéral, me renvoi un peu au Zanskar ; Les teintes ocres, les roches délitées, le sable et les hauts sommets lointains viennent me rappeler ce délicieux voyage.

A notre arrivée à Kyang et après un thé revigorant, il nous faut monter les tentes.

Je trouve l’infrastructure et le fonctionnement de l’expédition particulièrement impressionnants ; La tente mess spacieuse, le cuisinier et son aide, les mules, l’ensemble de l’équipe Népalaise, tout cela fonctionne en harmonie, efficacement, sans en faire « trop ».

Un certain confort nous est offert ; Il n’est certainement pas indispensable, mais permet d’arriver plus sereinement et moins entamé au pied de la montagne, où, des jours durant, nous aurons déjà tôt fait de nous éreinter à la tâche.

Nous disposons nos tentes sur des toits plats, et un peu plus tard vient l’averse et l’orage.

Une fois les nuages lentement dissipés, la vue sur notre environnement d’altitude est absolument superbe ; Sans aucun doute l’un des panoramas les plus stupéfiants que j’ai pu voir.

Le vent laisse danser quelques volutes, les nuages sombres se retirent, une subtile lueur dorée embrase les cimes, et les glaciers brillent d’un blanc immaculé dans ce tableau grandeur nature.

Le souper prend la place des photos, et l’estomac bien rempli, nous partons chacun dormir dans notre « tente de toit ».

Au petit matin, la vue est toujours sensationnelle sur les fortifications de l’Annapurna III, entièrement au soleil.

Tout comme nous d’ailleurs, attablés au soleil pour le petit déjeuner ! Le matériel est rapidement rangé, et nous nous mettons en chemin vers le fond de la vallée, le long d’une gorge étroite qui nous amène proches du lit de la rivière.

Aujourd’hui, j’ai la sensation d’être revenu au Zanskar, et les souvenirs affluent au gré des pas dans ces canyons dorés.

Nous parvenons assez rapidement à la « porte » de Phu : une immense arche de pierre au sommet de la gorge, qui marque l’entrée des terres du village.

En quelques encablures, nous y sommes, à 4100m, au pied de cet intemporel village de pierres suspendu sur un éperon au dessus de la vallée.

Malgré le mauvais temps qui arrive, je remonte depuis notre camp vers les habitations ; C’est un bijou d’architecture de montagne, où rien n’est construit au hasard. Je poursuis vers l’ancien monastère, et y passe un bon bout de temps à promener mon regard sur cet environnement hors normes, et hors du temps.

Je passe pas mal de temps, aussi, à « cogiter ».

Lorsque j’entrevois l’arrivée d’un possible rayon de soleil, je file à l’opposé, en direction d’une crête qui surplombe le village ; La vue y est imprenable !

Je prévois déjà d’y retourner dès le lendemain matin, même si je suis un peu sceptique quant à l’orientation du soleil… mais Paulo a l’air confiant, alors pourquoi ne pas essayer.

De retour au camp, une surprise très désagréable : Bertrand est mal en point, et ça ressemble très fortement à un oeudème pulmonaire. Plus que des chances de devoir mettre fin à son expédition, nous sommes surtout très inquiets de son état de santé.

On termine le repas, puis chacun gagne sa tente en silence.

­Le lendemain matin, Bertrand est visiblement malade. Saturation à 43, regard vide, équilibre très précaire, élocution quasi impossible.

Il y a forcément un certain malaise dans le groupe. Je vois, pour ma part, pour la première fois, les dégâts liés au mal d’altitude. Ça fait réfléchir, et remettre pas mal de choses en perspective.

Après le petit déjeuner, je file sur mon promontoire au dessus du village pour prendre quelques images et décompresser un peu. La lumière est déjà un peu haute pour réussir de belles images, mais l’important est dans le paysage et la quiétude.

Pour la seconde partie de la matinée, je retrouve le reste du groupe pour la cérémonie au monastère de Phu ; Le Tulo Lama (« Grand Lama ») a accepté de présider une Puja pour notre expédition.

Pour vulgariser, il s’agit d’offrandes et de prières aux déités, pour s’en attirer quelque faveur et s’assurer du bon déroulé de l’expédition. Je pense que, croyant ou non, on est quelques uns à adresser un mot pour Bertrand, tout autant que pour ce qui nous attend là haut.

Il s’agit pour moi moins d’un acte contraint et d’une soumission religieuse, que de l’acceptation d’une culture, d’une invitation à se poser quelques questions, et de la participation à une forme d’élévation spirituelle qui dépasse forcément un peu ma compréhension.

Le temps est suspendu, mais en sortant, je ressens une forme de soulagement et de paix intérieure. Sans doute chacun trouvera t’il ce qu’il est venu chercher, après tout.

Au retour du monastère, on place Bertrand en caisson hyperbare.

Quèsaco ?

Le caisson hyperbare est une structure, gonflable dans notre cas, entièrement hermétique, au sein de laquelle la pression d’oxygène insufflée est régulée. C’est un dispositif fréquemment utilisé pour diminuer rapidement – de manière artificielle – l’altitude et permettre au corps de retrouver un fonctionnement proche du niveau de la mer ; C’est un outil également très utilisé en plongée, lors d’accidents de décompression.

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Pour la suite, il est fort probable que son expédition s’arrête là, et qu’il doive être rapatrié plus bas (la descente étant le seul « remède » au mal aigu des montagnes).

C’est étrange pour moi d’assister à ça, mais nécessaire ; Tout autant qu’est nécessaire mon évasion vers le village, histoire de prendre un peu l’air.

Je remonte à mon superbe promontoire, et peut être grâce à la Puja, les conditions sont optimums. En rentrant au petit soir, Bertrand semble un peu mieux, et c’est un soulagement.

Le temps de finir ces lignes, je pense à écrire un peu sur notre approche si particulière, si « cool » et qui pourtant ne nous empêche pas d’être à la merci de gros pépins de santé.

L’impermanence des choses, sans doute.

On attaque notre troisième jour à Phu par une acclimatation active, avec une petite rando sur les hauteurs, jusqu’à l’altitude du Mont Blanc (un peu plus de 4800m).

Direction d’abord l’ancien monastère, puis avec presque toute l’équipe franco népalaise, on attaque notre chemin, précédés par Rajan qui ouvre la montée avec une aisance déconcertante.

Le sentier en lui même est assurément très beau, mais ici, c’est le paysage alentour qui captive nos regards ; Et au fil des pas, nous découvrons enfin l’Himlung Himal, notre objectif.

Il trône au milieu d’un cirque glaciaire impressionnant, où cohabitent plusieurs cimes à plus de 7000m ; L’Himlung est quant à lui une très belle pyramide de neige de glace, en particulier sur ce versant Ouest qui s’offre à nous.

Nous découvrons aussi une partie de la traversée que nous envisageons, et qui s’annonce particulièrement dantesque et esthétique !

La randonnée touche bientôt à son point le plus haut, et un certain nombre de Bharals – les mouflons locaux – s’en donnent à cœur joie autour de notre groupe, alors que nous sommes maintenant à près de 4800m.

La descente se fera à toute berzingue jusqu’au village, puis jusqu’à notre camp, où nous apprenons que Bertrand est stable et un peu en meilleure forme. C’est d’autant plus une bonne nouvelle que Paulo ne décide pas spontanément et malgré tout de l’évacuer ; Il lui propose de redescendre avec Christine, qui rentre à Kathmandu, ou de se reposer un peu et de remonter tranquillement vers le camp de base, et éventuellement au delà.

­Le 26 avril, nous quittons Phu pour le camp de base de l’Himlung, à 4815m.

C’est l’occasion de tester le « Paulo Style » à savoir l’éloge de la lenteur ! Je n’ai jamais marché si doucement, et paradoxalement, je me sens parfaitement bien ; J’ai l’impression de pouvoir marcher ainsi pour l’éternité.

Bertrand a pu quant à lui monter avec nous jusqu’au camp de base, et y rester.

Au fur et à mesure de notre progression, la montagne convoitée se découvre – immense. Nous sommes maintenant au cœur de ces 7000′ qui nous toisent de toute leur grandeur, plus de 2000 mètres au dessus de nous.

Le temps plutôt clément en début de journée se fait changeant, et la neige ainsi que le vent s’invitent bientôt ; Quelques heures plus tard, plusieurs centimètres recouvrent le sol et les tentes.

Éole n’est pas disposé à s’endormir ce soir, et mon ventre commence dangereusement à tourbillonner autant que les flocons au dehors…

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Au petit matin, la nuit fut mauvaise, pour ces deux raisons.

Nous entreprenons aujourd’hui de traverser le glacier noir, pour aller installer le camp de base « avancé » de l’autre côté ; La descente sur le glacier est raide, et franchement scabreuse avec la neige fraîchement posée.

Pendant près de 2 heures, nous ne faisons que louvoyer au milieu des pierres instables couvertes de blanc, avant de finalement remonter la pente très raide qui marque la sortie de ce champ de ruines minéral.

Je ne suis pas en forme, et très fatigué, mais malgré tout je fini par arriver de l’autre côté de la moraine. J’hérite d’une tente individuelle, et pour le coup, j’en suis assez ravi, car j’ai infiniment besoin de récupérer avant la suite : le début de l’ascension.

Nos tentes regardent le Gyajikang et ses plus de 7000m ; La montagne surplombe le camp de base, et maintenant que nous avons traversés, elle s’offre à nous comme repère visuel de nos futures péripéties. Paulo y est déjà monté en expédition, et je dois bien avouer que ce sommet me fait aussi de l’oeil !

Après un repas revigorant, je regagne mon sac de couchage sans demander mon reste…

L’ascension

« Il nous arrive parfois d’être concentrés sur la difficulté de notre ascension au point de perdre de vue la nécessité de nous montrer reconnaissants pour le simple fait d’avoir une montagne à escalader.« 

A partir d’aujourd’hui, on entre dans le vif du sujet. Nous allons réaliser un premier portage de matériel pour préparer le Camp 1, puis retourner au camp de base avancé pour la nuit.

La nuit n’a pas été de qualité premium, et mon ventre continue à me jouer des tours et à me faire inutilement souffrir. La montée, plutôt facile, me paraît ainsi interminable, en particulier à partir de 5200m ; J’ai l’impression, soudain, de grimper un « mur ».

J’ai assez peu d’énergie, et je cale régulièrement ; Même la descente me paraît compliquée à gérer, et c’est plutôt inhabituel.

De retour en bas, je profite de l’après midi pour m’octroyer un peu de repos et un cachet pour le mal de crâne. En début de soirée, je me sens plutôt bien, et assez optimiste sur la nuit à venir et ma capacité à bien récupérer de ces deux journées de petite forme.

Le 29 avril, je peux le dire, la nuit a été incroyablement bonne, et le sommeil, réparateur.

Je sentais hier soir un début d’amélioration, et ce matin, je confirme ; Tant mieux, car la montée « définitive » vers le camp 1, c’est pour maintenant !

Himalaya et stratégie(s) d’ascension :

Au regard des très hautes altitudes rencontrées en Himalaya et sur d’autres massifs (Cordillères d’Amérique du Sud, Denali, Asie Centrale…) les alpinistes ont nécessité de laisser leurs corps s’adapter à l’élévation, et in fine, à la baisse de la pression d’oxygène qui l’accompagne.

L’écrasante majorité utilise une stratégie un peu « brut » qui consiste à monter rapidement en altitude, redescendre très bas pour se reposer, remonter à un niveau acceptable, monter plus haut qu’à la 1ère ascension, et enfin, descendre se reposer avant d’attaquer une montée définitive. En tout cas, une structure « en dent de scie ».

Paulo a fait un choix résolument différent, et, à ma connaissance, unique : une progression continue. Une fois engagé dans l’ascension, c’est « vers le haut » continuellement. En contre-partie de cet effort strictement ascensionnel, il dispose plus de camps sur la montagne, et coupe donc en plus petits segments les dénivelés positifs.

Ainsi, sur l’Himlung, du Camp de base avancé au sommet, nous projetons 4 camps, chacun avec un dénivelé et un temps de marche assez restreint pour ne pas user l’organisme à des efforts trop intenses. A titre de comparaison, seulement 2 à 3 camps sont utilisés habituellement par les grimpeurs sur cette montagne.

Pour nous qui envisageons une traversée de 3 jours après le sommet, disposer d’un à deux camps supplémentaires n’est pas un luxe ; En effet, une montée trop brutale en altitude aurait pour conséquence un risque élevé de développer une forme de mal aigu des montagnes (avec risque d’oeudème cérébral et/ou pulmonaire, notamment) et d’engendrer un épuisement des corps contre productif à la traversée.

C’est une stratégie « de l’escargot » comme Paulo la nomme habituellement.

Mais revenons à cette belle journée vers le camp 1 !

J’ai beau trouver la montée toujours aussi longue, je sens clairement que j’ai bien plus d’énergie aujourd’hui. Les tentes installées, nous partons à la fois chercher de l’eau, et ramasser les détritus de nos prédécesseurs.

Je n’ai pas un gros appétit ce soir, mais le repas est satisfaisant, et mon estomac ne semble pas rechigner à un peu de travail.

La neige commence maintenant à tomber, et annonce une montée compliquée vers le camp 2.

Au petit matin, nous profitons d’environ 10cm de neige fraîche au sol, mais nous n’éprouvons pas de problème particulier à progresser vers le haut.

La montée est raide, dans des pierres instables et en terrain raide, jusqu’à l’entrée du glacier.

Nous appelons le lieu « deposit » puisque ce sera la transition entre le « trek » et l’alpinisme ; A partir d’ici, on délaisse nos tenues de randonneurs pour chausser les crampons et s’encorder.

Une main courante est installée par Jangbu et Rajan, à l’aide d’une corde fixe, sur les premiers mètres, au milieu des seracs et des crevasses ; Elle nous sera utile pour faciliter l’orientation et le passage en aller retour dans ce petit labyrinthe.

Elle sera indispensable à l’équipe Népalaise qui évolue avec des charges plus lourdes que les nôtres, et qui pourra ainsi plus aisément avancer vers la partie plus « lisse » du glacier, juste au dessus de ce passage.

Une fois extraits de cette portion accidentée, nous prenons en effet pied sur le glacier principal de l’Himlung ; Pas de doute, nous sommes en Himalaya !

Les crevasses, les seracs au dessus de nous et les dimensions même de l’environnement glaciaire sont incompatibles avec nos si petites montagnes alpines.

Nous arrivons doucement au camp 2, où nous nous installons, à 5950m, dans un cadre déjà somptueux.

Notre petite cordée de 3, avec Christian et Christophe, arrive en dernier ; Nous repartirons seuls sur le glacier dans le sens descendant. Le retour m’est à nouveau pénible, et je sens que le manque d’énergie d’il y a deux jours n’a pas encore été complètement comblé.

Le mauvais temps nous prends au Deposit, mais, sortis du glacier, il n’y a que peu de danger pour redescendre. Il faut rester attentif dans les pierres, et la concentration couplée au brouillard et à la fatigue finissent par me donner un mal de tête monumental.

Au camp 1, nous sommes tous les trois bien rincés. Avec Christian, dans la tente, c’est l’heure du thé, mais je n’ai pas franchement faim, et je préfère rester un peu allongé.

Depuis le début de l’ascension, nous sommes tous deux binômés sous tente ; C’est une petite collocation, où nous nous partageons les tâches simples au gré des jours. Il faut monter la tente, disposer nos affaires, chercher de l’eau ou de la neige à faire fondre, préparer le réchaud et l’eau… C’est une forme de routine, saine, simple et rassurante.

La neige fait son retour ce soir, et vient recouvrir le camp 1. Le programme de demain est incertain, en raison du mauvais temps qui semble vouloir persister.

Et le 01 mai, effectivement, nous restons au Camp 1. Repos, discussions, thé et attente au menu. Jusqu’au soir, où Bahadur, notre Cuistot Chef, nous remonte le repas chaud pour tous… depuis le camp de base avancé !

Demain, nous partirons vers le Camp 2.

Nous partons dans la précipitation, avec une moitié de petit déjeuner, et les sacs faits à l’emporte pièce. Ce coup ci, la montée dans le pierrier délité se fait avec une petite touche de neige, histoire de compliquer un peu la tâche.

Pourtant, c’en est rendu presque plus simple finalement.

Nous nous encordons avec Christian au « Deposit » (ou « Crampons Point » pour un autre surnom sympathique) et naviguons sur le glacier. J’y laisse encore un peu d’énergie, mais nous finissons bien par arriver au camp.

La vue est incroyable !

Toute la chaîne des Annapurna, et des Dhaulagiri se dresse derrière nous. La vue est saisissante ! Les immenses « 8000 mètres » nous toisent, inaccessibles.

Au soir, comme presque tous les soirs, c’est réunion avec tout le monde, et avec Paulo. Point météo : un peu de mauvais temps annoncé entre le 3 et le 4, puis à nouveau un temps plus favorable.

Le 03 mai, je pars encordé avec le « Boss » depuis le camp 2, jusqu’au camp 3 situé un peu plus haut et un peu plus loin sur le glacier.

Il n’y a que peu de difficulté sur l’itinéraire, à l’aller et au retour.

Le camp 3 est situé immédiatement au bas de la face de l’Himlung, à environ 6300 mètres. C’est un lieu magique, et impressionnant. On y ressent tout le poids de l’altitude, et la magnitude d’une face à gravir que l’on ne devinerai pas si raide en regardant les photographies.

Je prends une image de nos amis Népalais qui arrivent également derrière nous, avec, en toile de fond, l’Annapurna I et ses 8091m.

Nous laissons un peu de matériel, avant de faire retour au camp 2 juste avant l’arrivée des premiers flocons. Jusqu’à la nuit, ce sera une grosse chute de neige.

Le lendemain, finalement, le soleil fait son grand retour.

Je serais encordé avec Régis, et ce sera donc une montée finale vers le camp 3. On s’installera juste aux prémices du mauvais temps, qui nous attrape à bras le corps à peine la tente dressée.

La forme est au rendez-vous aujourd’hui, même si nous évoluons assez doucement, et que le passage des 6000m se fait sentir sur l’organisme.

Ce soir, une fois tout le monde installé, nous sommes conviés par Paulo à un conciliabule important ; Il s’agit de vérifier l’état des troupes, de faire le point sur la forme et les objectifs de chacun, et, pour Paulo, de décider de la suite.

Jeff, quant à lui, nous a annoncé renoncer à la traversée ; Il souhaite se concentrer sur le sommet de l’Himlung. Christophe, lui aussi, devrait s’orienter vers un sommet plus qu’une traversée.

Après ce « conseil des sages » nous repartons à nos tentes.

J’aurais aimé faire une photo nocturne du camp surplombé par l’Himlung, mais le mauvais temps me l’interdit définitivement. Encore une fois, de l’eau, du thé, un repas, et au dodo !

Le 05 mai, nous profitons du beau pour aller reconnaître un itinéraire alternatif de montée vers le col ; Christophe s’encorde avec Paulo, et, avec Régis et Christian, nous faisons une cordée en trinôme.

Nous longeons le glacier par son flanc, avant de chercher à remonter à l’aplomb du col. Malheureusement, c’est une impasse. Paulo et Christophe rebroussent chemin vers nous après s’être fais une petite frayeur sur des plaques de neige instables.

Nous rentrons au camp 3 après ce petit aller retour expérimental, tandis que Jangbu et Rajan reviennent peu après nous de leur trace « conventionnelle » d’accès au col ; Ils ont tracé la montée, et sont allés jeter un œil à notre hypothétique « Camp 4 » qui sera normalement installé en plein dans la face.

Vers le sommet et au delà

« Ce qu’il y a de plus beau dans la périlleuse ascension d’un sommet c’est que, celui-ci atteint, il faut en redescendre. »

Le soleil se lève sur le plateau glaciaire, et nous voilà maintenant partis en direction du sommet. Jeff, Denis et Christophe sont partis de bonne heure pour tenter leur chance sur l’Himlung et/ou aux abords, et après le petit déjeuner, nous partons sur leurs traces vers le col.

Dans cette première montée, je croise Christophe qui descend vers nous. Il a l’air fatigué et nous dit ne pas se sentir très bien ; J’apprendrais plus tard que sa saturation en oxygène s’était effectivement bien cassée à la figure !

Lorsque nous arrivons au col, au pied de l’arrête, celle-ci se découpe merveilleusement entre ombres et lumières, bercée par le soleil.

Avec Christian, nous grimpons encordés à deux, en technique alpine, en toute simplicité. L’altitude se fait sentir, et le besoin d’économie nous pousse à compter nos pas ; La préoccupation première demeure de rester en pleine forme aussi haut que possible, car, au delà du sommet nous attend une traversée inconnue, et encore plusieurs jours entre 6000 et 7000m.

Lorsque nous arrivons à petits pas vers 6800m, nos amis Népalais Jangbu, Rajan et Pemba ont déjà sacrément avancé le terrassement du Camp 4, situé en pleine pente.

Jeff redescend tranquillement avec Kharma de son « Himlung ». Ils ont pu monter au sommet depuis le camp 3, et ils en ont profité, seuls au monde ! Quelle belle façon de grimper, et quelle très belle récompense pour eux !

Nous aidons nos compagnons Népalais à terminer une plate forme où tiendraient nos 3 tentes, ici, en pleine face, et à 600m au dessus du fond du glacier.

L’emplacement est simplement hallucinant.

La place est comptée, et il nous faut redoubler de prudence en dressant les abris et en évoluant autour. Formule à retenir : si tu sors pisser, va pas glisser !

De notre Nid, la vue est époustouflante.

Le mauvais temps se montre à l’horizon, et j’ai à peine le temps d’immortaliser cet endroit qu’il me faut déjà me réfugier dans la tente.

Le 07 mai marque le départ pour le sommet, et la traversée.

L’impatience est là, l’appréhension aussi ; Une fois engagés sur cette arête qui n’a jamais été parcourue, la retraite vers l’arrière ou le bas sera compliquée, et il faudra tenir physiquement en altitude pendant trois journées pleines, en toute autonomie.

Si au lever du jour le beau temps et la vue sont bien présents, ça se gâte rapidement. Nous ne sommes qu’à 200m de dénivelé du plateau sommital, mais la couverture nuageuse s’intensifie de minute en minute ; En plus, entre la fatigue et l’altitude, je n’arrive pas à avancer bien vite ce matin.

Les complications météorologiques se font claires à notre arrivée sous le sommet de l’Himlung ; Aussi, décision est prise de poser un camp 5 à cet endroit, à 7050m.

Cette décision, logique, est la seule à prendre ; Redescendre sur notre terrasse est aussi une solution, mais ne changerait rien à l’issue : ce camp 5 marque la fin prématurée de notre traversée, mort-née.

Nous avions une autonomie suffisante pour poser 3 camps successifs, et désormais, il est inenvisageable de se lancer dans l’inconnu d’une longue traversée d’arête avec un stock de nourriture et de gaz pour deux seules étapes au lieu des trois prévues. Le terrain, l’inconnu, l’altitude, la météo, les difficultés techniques… beaucoup trop risqué.

Bertrand et Paulo partent tout de même en reconnaissance vers le début de l’arête qui conduit à l’Himlung East. Au retour, ils annoncent que le passage s’annonce assez technique.

Le programme du lendemain sera finalement simple : Paulo, Isa, Jangbu et Rajan tenteront d’aller à l’Himlung East ; Le sommet et l’arête qui y conduit sont vierges, c’est donc un très bel objectif.

Regis, Bertrand, Pemba, Christian et moi même iront au sommet principal de l’Himlung, juste au dessus du camp.

Je n’appréhende pas vraiment la nuit qui arrive, à plus de 7000m ; Je me sens plutôt bien, quoique un peu fatigué. Le repas passe sans problème, et à l’heure de se coucher, j’espère sincèrement que le beau temps fera son retour demain matin.

Nous nous réveillons sous les premiers rayons du soleil, qui vient réchauffer nos tentes posées à même le ciel. En ouvrant le zip de notre abri, nous découvrons, extatiques, que le petit plateau sommital de l’Himlung fait décidément un très beau « camping » !

Encore une fois, la vue est tout simplement grisante, et c’est magnétisés par le paysage que nous nous préparons tous pour nos objectifs.

L’équipe de l’Himlung East part en premier ce matin ; Il faut dire que l’aller retour leur prendra certainement plus de temps que notre micro assaut sommital.

Qu’il doit être rare en Himalaya de pouvoir tenter un sommet depuis un dernier camp aussi proche. Il nous faudra parcourir un peu plus de 100 mètres verticaux, et il n’y aura alors rien de plus haut devant nos pieds.

Le départ est donné, lentement mais sûrement.

Très bientôt, nous arrivons au pied du ressaut sommital, constitué d’un petit mur de neige assez raide. Bertrand prend en compte l’ordre de montée et l’organisation, et en trois coups de cuillère, nous voici tous en haut.

Tous les 5 – Regis, Bertrand, Pemba, Christian et moi même – nous voilà au sommet de l’Himlung Himal, par une journée magnifique, presque sans vent.

Assis dans la neige, nous voilà perdus dans nos pensées.

Le regard se pose tour à tour sur les pentes du Manaslu – si proche – et sur tous les sommets du Tibet voisin ; Le blanc et l’ocre des montagnes s’étend à perte de vue.

Sans pour autant oublier que nous n’avons fait là que la moitié du chemin, il nous est permis de goûter à ces instants merveilleux où le temps semble suspendre son cours.

Je profite, à ma manière, d’un maelstrom d’émotions et de sensations ; Ici, à 7000 mètres au dessus du monde, il m’est offert la chance de poser un regard neuf sur ce que je laisse derrière moi, et sur ce que je voudrais atteindre dans les prochaines années.

Je ne suis pas encore retourné en bas que déjà de nouveaux « sommets » aimantent mon œil, et nourrissent mon insatiable appétit !

Inexorablement, le temps, que nous prenions là haut pour acquis et éternel, s’étiole et s’éteint. Nous cheminons alors jusqu’au camp, des étoiles plein les yeux.

De retour en fin de matinée, chacun s’occupe comme il veut, et pour ma part, je fais une sieste à même la neige, au milieu des tentes ; A ma façon, je laisse la montagne m’imprégner un peu plus.

Ce sera ensuite un peu de repos sous tente, avec l’arrivée des nuages. Au milieu de l’après midi, l’équipe de l’Himlung East rentre « victorieuse » et ravie de leur traversée en Aller Retour. Et c’est donc une première sur ce sommet satellite !

Après une nouvelle nuit à plus de 7000m, nous quitterons demain matin cet endroit et ces altitudes où l’homme n’a pas sa place.

Au petit matin du 09 mai, j’ai passé une très mauvaise nuit.

Crampes d’estomac et diarrhée ont brutalement et rapidement coupé mon repos ; Après être sorti en pleine nuit me vider copieusement, j’ai ressenti que mes mains et mes pieds avaient pris un gros coup de froid.

J’ai passé la nuit à trembler, engoncé dans mes vêtements en duvet, avec moufles et chaussons, et le tout dans un sac de couchage prévu pour des températures polaires. Impossible de trouver le sommeil ou de me réchauffer.

Le jour se lève, avec le mauvais temps. Je suis dans un état de fatigue épouvantable, faible comme jamais je ne l’ai été ; Mettre mes chaussures prend un temps fou, et je suis incapable de manger quoi que ce soit.

J’en réfère à Paulo pendant qu’on plie bagages, et demande à être binôme avec quelqu’un de « frais » si possible. C’est Bertrand qui va me materner toute la descente.

Les pentes entre le sommet et le dessous de notre « Camp 4 » sont raides, la visibilité est extrêmement réduite, et même bien assuré, je ne peux pas me permettre d’entraîner en glissade Bertrand ; Avec mes 90kg et un peu d’élan, la fatigue et la pente, ce serait une chute potentiellement fatale…

Aussi je me concentre autant que possible, à chaque pas, à chaque virage, à chaque changement de main du piolet. J’essaye de rester le plus lucide possible, de me répéter en boucle que tout va bien, de faire de ma marche une marche consciente et réfléchie.

Il est difficile de décrire ce qui se passe dans ma tête, mais c’est une gymnastique complexe et absolument nécessaire pour tenter d’éviter tout accident. Je pourrais m’arrêter en position assise, et m’endormir ici sans aucune difficulté ; Je pourrais m’arrêter, mais si je le faisais, je sens que je ne repartirais pas.

La faiblesse dans ces instants est une malédiction.

Je ronge mon frein, et je me contente d’avancer autant que possible, focalisé sur les mètres à venir et sur le fait que, si je suis capable de le faire ne serait-ce qu’un peu, je pourrais le faire indéfiniment et jusqu’en bas. C’est une question de mental, pas de physique ; Et en matière de mental, je connais mes limites, et je sais que je suis encore loin de les atteindre.

Ainsi sera ma journée de descente, jusqu’à retrouver le camp 3, sur le plateau glaciaire.

En arrivant, j’aide un peu Christian pour installer la tente, puis je dois m’allonger. Mon corps ne fonctionne plus, c’est une sensation étrange et désagréable.

Je voudrais aider à cuisiner, ou finir de ranger et organiser notre abri, mais je ne peux plus. Il n’y a rien à faire, mon binôme doit s’occuper de tout ; Je n’arrive plus à me nourrir, et c’est à grand-peine que j’ingurgite un peu de thé, tout en continuant à grelotter et respirer de manière totalement anarchique.

Demain, nous devons gagner le camp de base ; La journée s’annonce au moins aussi éprouvante, sinon plus.

J’espère trouver un peu de repos, après avoir gobé mon lot de médicaments.

Le 10 mai, je suis toujours très faible, même si j’ai l’impression d’avoir repris un peu de poil de la bête.

La routine du matin se déroule sans accroc, jusqu’à plier bagages, et à entamer la descente. Les petites pentes montantes entre le Camp 3 et le Camp 2 finissent de dévorer le peu d’énergie que j’avais récupéré.

A partir du Camp 2, Christian et moi sommes laissés seuls derrière – trop lents !

On gère notre descente comme on peut, dans un état de fatigue incroyable. Nous sommes contents de sortir du glacier et de retrouver un peu de matériel léger déposé par l’équipe Népalaise pour notre confort.

J’ai les pieds explosés, les jambes prisent de crampes presque à chaque pas, et maintenant nous attaquons l’infâme pierrier qui nous permet de gagner le Camp 1.

La traversée entre le Camp de base avancé et le Camp de base, sur ce glacier noir et poussiéreux, termine de nous achever.

Heureusement pour nous, à un peu moins de 30 minutes du terminus, nos amis Népalais de la cuisine viennent à notre rencontre pour nous apporter un peu de thé chaud, plus que bienvenu à ce moment là !

Enfin, les tentes sont en vue, et nous retrouvons un peu de confort ; Ce qui reste de la journée sera consacré à un repos bien mérité.

J’ai pas mal titubé dans la descente, mes chevilles sont douloureuses, et mes jambes tétanisées. Autant de chemin cassant et varié en étant déjà complètement rincé, c’était vraiment punitif.

Demain devrait être une journée de repos au camp de base, et ça me fera le plus grand bien.

Rien de particulier à souligner pour le 11 mai.

Nous préparons nos sacs pour le retour, et nos menus sont agrémentés de tout ce qu’il nous reste à consommer. Repas 4 étoiles, dans un cadre somptueux.

Je profite de grands temps de repos et de relâchement maintenant que nous sommes redescendus ; Le mental va bien, le physique va un peu mieux.

Nous ferons encore un gros conciliabule pour débriefer cette expédition qui se terminer lentement, puis le soir arrive, et nous retournons nous coucher pour entamer le chemin du retour.

Sur le retour

La montagne ne mène que vers ses hauteurs ; arrivés à sa cime elle se transforme en précipice.

Au petit matin, direction Phu !

Tout se déroule sans encombre, jusqu’à arriver proche du village. Barath, le cuisinier en second se blesse au genou juste devant nous.

Il est bien amoché, et ne peut plus se tenir sur sa jambe ; Nous l’asseyons et, dans un premier temps, avec sangles et bâtons, lui posons une atèle de fortune.

Lorsque Paulo arrive, Barath est placé en position assise avec les jambes passées dans les sangles d’un sac à dos ; Il est ainsi descendu à dos d’homme jusqu’au village, d’où il sera évacué le lendemain.

L’assurance que Paulo a prise pour l’équipe Népalaise devrait fonctionner, et c’est tant mieux !

Arrivés à Phu, nous sommes hébergés dans le « dur » en prenant nos quartiers dans un lodge. Nous y passerons d’ailleurs tout l’après midi en terrasse, assis, à souffler et à regarder passer la vie ; C’est un moment suspendu et agréable, pendant lequel nos pensées cheminent tantôt vers les sommets, tantôt vers nos maisons.

Le 13 mai est dédié au repos à Phu.

Nous en profitons pour regarder le travail aux champs, et pour « faire la pierre » comme dit si bien notre guide.

Barhat est évacué dans l’après midi par hélicoptère, après avoir bien souffert de sa blessure pendant 24 heures.

Je ferais un dernier aller-retour au joli point de vue au dessus du village, histoire de dire au-revoir dignement à cet endroit incroyable et aux montagnes qui ont bien voulu nous accueillir.

Le lendemain, notre descente reprend de plus belle. Un groupe partira pour un crochet par le haut, vers Naar, tandis que j’intègre celui qui descend plus directement vers Meta ; Après mes ennuis de santé et maintenant que j’ai repris une bonne partie de mes capacités physiques, je ne veux pas de rechute ou d’épuisement gratuit.

Lorsque nous passons Kyang et ses bergeries, nous nous arrêtons avec Jangbu, Christian et Isa à un proche Tea Shop pour boire un coup et manger un peu.

Denis était resté derrière, cheminant à son rythme, mais à la fin de notre longue pause, nous ne le voyons pas venir. Jangbu et Urpa partent en arrière pour aller à sa rencontre, et nous repartons, Isa, Christian et moi, vers Meta, forcément inquiets.

Lorsque nous arrivons, nous en informons le second groupe, qui revient de Naar. L’attente est interminable, et angoissante ; Le silence est parlant.

En fin d’après-midi, fort heureusement, nous voyons réapparaître Denis, accompagné de Jangbu et Urpa.

Toute l’équipe franco Népalaise étant réunie (sans Paulo, resté à Phu) nous organisons un gros apéritif collectif, en particulier pour remercier nos amis Népalais de toute l’aide apportée dans cette expédition.

C’est un très chouette moment de convivialité, et la pression retombe complètement.

Le 15 mai voit arriver une autre étape plutôt longue, de Meta jusqu’à Koto, départ / arrivée de la Jeep.

Je descends la première moitié de l’itinéraire à fond de train avec Régis et Isa, le rythme est diabolique.

Après le repas de 11 heures, Régis et moi repartons seuls pour la seconde moitié ; Le rythme est encore plus soutenu, et nous arpentons la frontière entre marche et course, mais de manière assez souple et naturelle, et surtout, sans trop de fatigue.

Lorsque nous arrivons à Koto, nous nous rendons compte que nous avons mis littéralement deux fois moins de temps à descendre qu’à monter, le 21 avril. L’acclimatation a fait son office, et ces altitudes nous paraissent maintenant dérisoires.

Une fois à Koto, encore quelques images dans la boite, une bonne douche, du repas, et du repos !

Les deux prochains jours seront fatalement éprouvants pour moi : de la jeep le 16 mai toute la journée, et du bus le 17 mai, toute la journée.

Et enfin, nous voilà le 18 mai, qui marque la dernière journée de ce superbe voyage ; Une journée à Kathmandu.

Avec Régis, Isa, Denis et Christian, nous partons explorer un peu le secteur de Patan.

Aux alentours de 10 heures, nous sautons dans le taxi, en direction de ce fabuleux quartier ; Patan, c’est la « veille ville » au sens le plus noble. C’est fait de briques rouges, et d’innombrables temples ; De petites arrières cours, et de ruelles cachées.

Les lieux ont pas mal été ébranlés pendant le séisme de 2015.

Durbar Square en porte assurément les stigmates, avec une partie des temples écroulée, et une autre en travaux.

Sur les conseils de Jeff, on visite le musée justement situé à Dubar Square.

C’est superbe, et très bien tenu. Les bâtiments recèlent d’objets et d’histoires sur la culture et la religion au Népal ; Il y a un nombre incalculable de statues, bijoux, photographies… Tout est expliqué en détail, et donne une dimension encore plus profonde à ce pays déjà merveilleux en surface.

Nous mangeons au restaurant du Musée, puis Régis et Denis décident de repartir.

Avec mes deux derniers comparses, Isa et Christian, nous préférons prolonger un peu le séjour ici, en nous perdant simplement dans les ruelles, ici et là, au gré de nos pas.

La vie et les découvertes y sont plus belles qu’au milieu des touristes, assurément.

Enfin, à notre tour, nous rentrons à Bodnath et à l’hôtel.

Nos sacs prêts, nous sortons manger dans un joli restaurant Vietnamien ; Et à l’heure de rentrer, nous réglons nos réveils de très bonne heure, puisque dès 04 heures, ce sera le grand retour !

Quelques mots supplémentaires

Pour ceux qui aiment lire, et veulent explorer un peu plus du « pourquoi’ de ces belles aventures !

« Il faut du temps pour s’en remettre.

Voilà quelques jours que je suis rentré en France, et que j’ai repris le pénible chemin du travail ; La routine est immédiatement de retour, mes mains tapent au clavier une kyrielle d’inepties, vides de sens, vides d’intérêt.

Les repas n’ont pas vraiment de saveur, et seule la nécessité de me nourrir me dicte d’avaler telle ou telle substance.

Non, je n’ai pas subi de blessure ou de maladie qui pourrait justifier cet état ; Tout juste, et pour quelques temps semble t’il, mes doigts de la main sont encore blanchis, insensibilisés, et des picotements parcourent ma peau jusqu’au poignet.

Mais je ne crois pas que les gelures bénignes amènent à la dépression caractérisée.

Car c’est de cela qu’il s’agit, encore une fois.

La parenthèse de bonheur s’est refermée sur moi ; Les guillemets qui avaient été ouverts en même temps que je refermais mon sac et le jetais dans le train, se sont refermés lorsque la porte de l’aérogare s’est verrouillée derrière moi.

Le temps suspendu au sommet de l’Himlung a repris une course effrénée, et, si je suis parfois content de retrouver le confort de mon canapé le soir plutôt que la tente posée sur un glacier, j’ai déjà la nostalgie du Népal et du voyage.

Ce n’est pas vraiment une dépression, appelons plutôt ça le « blues de l’aventurier » ; Le dur retour aux dures réalités.

Il faudrait que je puisse me satisfaire d’avoir connu cette expérience hors du commun, être simplement heureux de rentrer, de retrouver un foyer, de chérir tous ces souvenirs que j’ai vu naître en altitude ; Il faudrait que je puisse me contenter d’avoir vécu toute cette intensité.

Il faudrait accepter le retour au quotidien insipide, se dire que de nouvelles aventures viendront bientôt. Il le faudrait, mais le pourrais-je ?

Quelques personnes, des collègues, des amis, m’interrogent sur cette expédition ; Bien sûr, je réponds enjoué oh combien c’était incroyable ! Je ne pourrais pas mentir, c’était incroyable !

Puis je leur dit l’enfer des trajets en jeep, la beauté de la marche d’approche, le choc visuel de se trouver au pied de – et sur – la montagne, la grâce de se tenir debout au sommet. Je récite l’expédition, l’agrémente de détails, et me délecte de ces mots qui m’apportent tellement de plaisir et de sensations.

Les mots se font bientôt de plus en plus rares, comme l’oxygène au sommet des mondes ; Ils viennent à me manquer, et alors je retrouve le silence et la solitude. Quelle sensation étrange, d’avoir tout dit, et d’avoir pourtant l’impression qu’il manque encore quantité de mots.

J’ai l’impression d’être un spectacle, un automate qui récite, un original que l’on interroge que parce que son aventure atypique suscite un brin de curiosité entre deux riens.

Le public questionne, me fait entendre des « ah » et des « oh » ; Mon interlocuteur me dévisage, pèse l’intensité des anecdotes, jubile à l’approche du sommet. Invariablement, il s’en délecte, puis il s’en va.

Toujours ce sommet, cette montée qui termine en apothéose ; Puis la descente, le silence, et le désintérêt soudain.

Ce n’est finalement que le reflet de l’ascension elle même.

Pour autant, j’aimerais parler de ce qu’il y a au sommet, et, plus encore peut-être, de ce qu’il y a après le sommet, dans la descente, sur le chemin de rentrée, au retour. Mais ça n’intéresse pas ; L’objectif est le sommet, et au delà, plus rien n’existe.

J’aimerais leur dire que ce n’est pas ça, une ascension.

J’aimerai leur dire que le sommet est un but, mais que ce n’est pas le seul.

Ce n’est finalement que l’exact milieu de l’aventure, à peine la première moitié ! Et encore, l’arrivée au sommet est un but, mais y demeurer suffisamment longtemps pour prendre possession de l’instant en est un autre.

Quoi qu’il en soit, une fois là haut, il faut encore descendre.

Il faut emprunter le même chemin, faire le même nombre de pas dans le sens opposé, et surtout, voir maintenant d’un tout autre œil tout ce que nous avons laissé derrière nous à la montée.

Il n’est pas de regard plus neuf que le regard de celui qui est allé au bout de son rêve, l’a touché du doigt, et a consciemment fait demi tour pour revenir très exactement à son point d’origine.

Mais je ne peux pas leur raconter ça, à mes collègues, ou à ma famille. Parce que celui qui n’a pas fait ce voyage intérieur une fois dans sa vie ne comprendra pas toute la dimension que prend le long chemin du retour.

Au diable mes mots, mes histoires, mes sentiments, et mes interlocuteurs ! Je garde cette moitié de voyage pour moi seul. C’est une deuxième aventure, secrète, intime ; Elle est mienne, et je la garderais jalousement !

C’est la première fois que j’écris sur cet aspect, peut être parce que cela n’avait encore jamais été aussi prégnant dans mes interactions sociales, dans mes récits et en mon for intérieur. Mais je me rends compte que j’ai ressenti ça à chacun de mes voyages jusqu’à maintenant.

Même si le retour à ma vie monotone m’ennuie et me déprime, et que je vais sans doute garder ce « blues » bien plus longtemps que mes gelures, je suis heureux d’en découvrir la raison et l’origine.

Déposer ces quelques mots me permet d’éclaircir mon esprit, et de soulager mon anxiété chronique autant que ce vilain cafard qui rôde un peu trop souvent ces derniers jours. C’est une forme de thérapie ; C’est une forme de liberté, aussi importante que celle ressentie au sommet de l’Himlung.

Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas la même ?

En tout cas, je n’aurais pas imaginé avant le départ à quel point cette ascension allait me chambouler et bousculer encore plus mon envie d’aventure.

Même si le moral n’est pas au beau fixe pour le moment, je peux affirmer que je ne parle de ce voyage qu’avec des grandes envolées lyriques, et un feu sacré révélateur.

De toute façon, je crois bien n’être plus fait que de passion et de déraison… Et je crois aussi que mes prochains projet seront, encore une fois, le fruit et le reflet de cette fureur de vivre qui désormais m’anime dangereusement !

Vers d’autres sommets et d’autres cieux, définitivement, il me reste autant à découvrir en ce monde qu’en moi même. »

02 Juin 2017.