Préambule
Vers une nouvelle aventure
Assis à la terrasse du bar « Next Chapter » à Durban, sous une chaleur écrasante, je tente péniblement d’absorber le choc du Daïquiri glacé qui vient remuer les tréfonds de mon âme ; Face à moi, Vincent se paye gentiment ma tête en voyant que je commence à produire ma plus belle imitation d’un malaise, dans l’indifférence générale.
Nos plats arrivent, tandis que plusieurs employés s’évertuent encore à nettoyer ce qu’il reste d’un mariage, célébré peu avant notre venue. Les couverts sont ramassés, les décorations, elles, sont nonchalamment jetées.
Les clients vont et viennent dans la pièce principale, tandis que les serveurs tentent avec plus ou moins grande réussite de satisfaire à toutes les demandes ; Le patron passe nous saluer d’un ton amical, et nous demander si tout va bien.
Florida Road est bondée ce soir. De très nombreux véhicules circulent, et les restaurants et bars font salle comble ; L’heure est visiblement à la ferveur, et à la fête.
Toute cette agitation contraste forcément avec la quiétude absolue dans laquelle nous étions jusqu’à présent plongés.
La transition est toujours difficile entre le calme et la simplicité de l’aventure, et le retour aux vicissitudes quotidiennes ; L’envie de rentrer se confronte immédiatement avec l’inconfort de la vie sociale, et son exubérante cohue. Je ne me sens jamais à ma place dans ces villes, ces bars, ces artères passantes.
Je regarde mon burger fraîchement servi, et ne peux m’empêcher un rictus en repensant aux repas lyophilisés qui m’ont accompagné une nouvelle fois pendant toute mon itinérance. Les frites me font aussi de l’oeil, et bientôt, le goût de la nourriture du « monde d’en bas » efface un peu du dégoût d’avoir quitté le « monde d’en haut ».
Le Daïquiri semble en voie d’être digéré.
Je crois en revanche qu’il va bien falloir quelques mois supplémentaires pour que cette aventure puisse, elle aussi, être bien digérée.
Introduction
Bientôt, nous vivrons l’ivresse d’une liberté absolue ; Le sac et l’ami comme compagnons, le soleil et les ruisseaux pour toute ressource, et une combinaison infinie de vallées et de crêtes à explorer.
Pour deux petites semaines, tout là haut, nous serons à la fois Maîtres du temps, et Maîtres des lieues.
Un autre rêve à la carte
À l’extrême Sud du continent Africain se dresse une étendue sauvage de plus de 250.000ha, vierge de toute infrastructure en dehors d’une route de montagne reliant deux pays. Il n’y a ni chemin balisé, ni même sentier ; Il n’y a pas de refuge non plus.
La faune y est abondante, et les paysages y sont sans commune mesure.
Les plus anciennes traces de civilisation remontent à plus d’un million d’années, et l’ensemble du massif est une source archéologique et anthropologique inestimable.
Cet endroit, les zoulous l’ont baptisé Ukhahlamba « Rempart de Lances » et les Afrikaners, Drakensberg « Montagnes du Dragon ».
Ces deux noms décrivent à merveille le paysage extrêmement minéral et découpé de l’escarpement. À plus de 3000m d’altitude, les falaises basaltiques abruptes surplombent l’Afrique du Sud ; Visions extraordinaires d’une muraille infranchissable !
Les photographies de Alex Nail, Hougaard Malan et Mark Dumbleton m’ont fait découvrir ce lieu hors du commun, et juste comme ça, sans trop avoir à y réfléchir, l’envie de traverser à pieds ce somptueux décor est née.
Début 2020, alors que tout était planifié, le monde s’écroule et se replie sur lui même ; Je reporte une première, puis une seconde fois. Et en 2021, rebelote, il me faut à nouveau annuler.
La vie est ainsi faite : on fait de beaux projets, on s’y accroche de toutes nos forces, et puis d’un jour à l’autre tout s’arrête. Il faut plier bagages, faire demi tour et tourner la page.
Malgré les 3 années qui se sont écoulées, et les nouvelles aventures que j’ai eu le bonheur de créer et de vivre, il me restait un farouche sentiment d’inachevé.
Le 30 décembre 2023, au cours d’une discussion banale sur Whatsapp avec mon ami Vincent, je lui fait part de mon envie d’aller enfin poser mes chaussures dans le Drakensberg, et lui propose d’éventuellement m’accompagner ; Dès le lendemain, les dés sont jetés, nous partirons à deux.
Quelques semaines plus tard, je pars pour mon autre projet de l’année : une boucle à skis en Laponie, en solo ( → à retrouver ici )
Et à mon retour, début mars, il ne me reste qu’une toute petite poignée de semaines pour finir de préparer le voyage, guider Vincent dans ses derniers achats, et boucler le projet à temps.
Autant dire que, étant « employé à plein temps » et « rêveur dissipé à plein temps », le tout en même temps, je n’ai guère vu passer le … temps !
Bientôt, nous vivrons l’ivresse d’une liberté absolue ; Le sac et l’ami comme compagnons, le soleil et les ruisseaux pour toute ressource, et une combinaison infinie de vallées et de crêtes à explorer.
Heure après heure, nous allons ainsi suivre le fil de nos destins ; Serions nous frustrés par le déroulé, que sitôt, nous pourrions le changer. Dans un monde où tout est régi par la règle et la contrainte, quel plus grand luxe désirer ?
Pour deux petites semaines, tout là haut, nous serons à la fois Maîtres du temps, et Maîtres des lieues.
1 – Dans l’ombre des montagnes : faire le premier pas
Les murailles sombres du Drakensberg se parent d’ocre et d’orange, tandis que la lumière décroît rapidement.
Nous pouvons désormais tous deux ressentir la magnitude de ce qui nous attend les prochaines semaines ! Pas de doute, ça s’annonce unique et exceptionnel.
Le ciel s’éclaircit au premier jour ; Un accueil mémorable !
Une nouvelle fois, mon père a décidé de m’accompagner jusqu’au quai de la gare ; Une nouvelle fois, nous n’avons pas besoin de parler pour nous comprendre.
Il est présent pour moi, encore et toujours, et c’est bien là tout ce qui compte.
Assis à la fenêtre de mon wagon, je regarde le paysage défiler, indifférent. Sur le chemin, Vincent monte à son tour ; L’équipe est au complet, nous pouvons y aller.
Nous arrivons à Paris en début de soirée, et prenons immédiatement le cap de l’hôtel ; Nous y préparons nos sacs, et surtout, y savourons un apéritif bien mérité après cette épuisante première journée.
Dès le lendemain, après un copieux petit déjeuner (complété par un repas dans un célèbre restaurant gastronomique Américain …) nous laissons nos bagages au hasard des tapis roulants, et embarquons à bord de notre vol à destination de Johannesburg.
Arrivés en début de matinée, une fois nos affaires récupérées, nous rejoignons le taxi qui doit nous amener jusqu’au pied de la montagne.
Marinda, notre chauffeur, nous arrête d’abord en périphérie de la ville, pour que nous puissions acheter deux cartouches de gaz pour les réchauds ; Nous les essayons sur le parking, puis nous voilà partis pour 4 heures de route.
Les lignes droites interminables coupent en deux les immenses étendues de champs cultivés.
Marinda nous décrit Johannesburg comme une ville tentaculaire, gangrenée par la violence. Aux dernières nouvelles, elle fait désormais partie des villes les plus dangereuses au monde ; Gangs, drogues, armes… désormais crimes et corruption massive sont devenus la norme.
Le tableau qui nous est dépeint est sombre, et s’applique aussi aux villes plus populaires et touristiques, comme Durban et Cape Town.
Puis, au fil des kilomètres, nos conversations s’égayent ; On parle voyages, et notamment du Tibet et du Népal. Elle nous raconte combien Kathmandu l’a marquée, et comme je la comprends ! Nous lui parlons en retour de notre projet de trek dans le Drakensberg, de ce que nous voudrions faire.
La route nous porte jusqu’à Harrismith, à quelques encablures des montagnes, sur lesquelles nous avons désormais une vue assez dégagée.
Et bientôt se dresse face à notre voiture Cathedral Peak – majestueux et emblématique sommet du ‘Berg – sous un ciel d’orage ; L’arrivée est imminente.
Il est 16 heures lorsque nous sommes déposés à Witsieshoek, point de départ de notre périple.
Nous prenons nos quartiers dans une chambre de plein pied, face à des reliefs extraordinaires, enveloppés dans les nuages et frappés par le tonnerre incessant. Nous y sommes enfin, un peu intimidés et vraiment fatigués.
Puis, plus tard ce soir là, le ciel décide de s’éclaircir et nous offre un premier coucher de soleil fantastique ; Les murailles sombres du Drakensberg se parent d’ocre et d’orange, tandis que la lumière décroît rapidement.
Nous pouvons désormais tous deux ressentir le sérieux de ce qui nous attend les prochaines semaines ! Pas de doute, ça s’annonce unique et exceptionnel.
Une dernière nuit de confort s’offre à nous, et demain, nous gagnerons le départ du sentier.
2 – Aventure à grande échelle : les plus hautes chutes d’eau du monde
Sous la lumière du couchant, le décor est sublimé, et nous voilà sidérés devant la magnitude de ce que nous avons sous les yeux. Les plus hautes chutes d’eau du monde nous font face, et plongent sans fin dans les contreforts.
983 mètres séparent le bord du plateau du socle de la montagne.
Sentinel peak, notre point de départ
Levés aux aurores, nous empaquetons nos affaires et prenons le petit déjeuner dans l’alcôve du restaurant de notre lodge ; Chose faite, nous sortons et attendons le départ de la « navette » vers le pied de Sentinel Peak et, in fine, vers nos premiers pas dans ces montagnes.
Un couple français et leurs deux enfants sont aussi du voyage.
La navette en question est un vieux pickup Toyota blanc et terre, dont la benne arrière a été aménagée avec quelques tapis et banquettes de fortune. L’engin surélevé a connu des jours meilleurs, mais semble tout de même ronronner ; C’est bon signe.
Au regard du chemin potentiellement chaotique sur les 7 kilomètres de l’ascension, on se dit qu’on va laisser la cabine assise au couple et aux enfants, et que Vincent et moi arriverons bien à tenir dans le coffre jusqu’en haut ! En plus… ça nous fait rire !
Pendant la presque heure du trajet nous prenons de l’altitude, et pouvons admirer avec envie les reliefs qui nous attendent. À 2540m, c’est la fin de la « route » et le début de notre chemin.
Après nous être enregistrés auprès des rangers du parc, nous faisons quelques photos, saluons la petite famille française, et prenons notre envol vers les sommets.
Le début est facile et aménagé ; Néanmoins, très vite, nous sommes rattrapés par l’altitude et le poids de nos sacs. Je sens la fatigue physiologique s’abattre très vite sur ma tête.
Le temps est encore au beau fixe, même si quelques grappes de nuages viennent doucement s’enchevêtrer de ci de là, et noyer les murs de roches dans une brume opaque.
À mesure que l’on progresse, le vide se creuse sur nos flancs, et les à pics semblent plonger vers des profondeurs insondables.
Nous arrivons maintenant au seul obstacle non naturel de notre périple : un enchaînement de deux échelles métalliques souples, posées pour pouvoir franchir un immense ressaut vertical.
Les « Chain Ladders » pas forcément très engageantes
Les brumes nous dévorent alors que nous faisons une pause au pied des « Chain ladders » ; Lorsque je teste la première échelle, je constate qu’elle bouge dans tous les sens. Le sac de 25 kg et les 17 mètres à franchir rendent l’exercice intéressant.
On grimpe la première longueur, reprenons notre souffle, et enchaînons rapidement avec la deuxième, un peu plus courte. Une fois au sommet, satisfaits, nous nous apercevons que le chemin – jusque là évident – n’est plus ; Il nous faut désormais nous orienter par nous mêmes, et ce jusqu’à la fin du voyage, sans discontinuer.
Sur le plateau supérieur, à environ 3000m d’altitude, le paysage s’appauvrit. Les étendues vierges restent tout de même bien vertes pour la saison, et constellées de roches massives.
Après être remontés vers le « Mont aux Sources », nous rebasculons vers une très large partie du plateau dont l’affleurement vient s’arrêter net au dessus du vide ; Et quand vient l’heure de la pause du midi, vient également l’heure de parler stratégie.
Allons nous avancer notre itinéraire de plusieurs kilomètres pour anticiper sur les jours à venir ? Ou choisirons nous de rester sur ce secteur pour espérer faire un premier bivouac avec vue sur les chutes d’eau de Tugela Falls ?
Le plateau supérieur, on y est enfin !
La météo se gâte progressivement ; Les nuages remontent du précipice Sud Africain et se regroupent au dessus de nos têtes. Il est difficile de prévoir si c’est annonciateur de mauvais temps ou non, mais on se dépêche de repérer des emplacements de bivouac au bord du vide.
Il faut slalomer entre les herbes hautes et les nombreuses flaques d’un terrain plutôt marécageux ; De nombreux singes déambulent autour de nous, indifférents à notre présence.
Malgré la densité du brouillard ambiant, il nous est parfois donné la chance d’entre apercevoir notre environnement, et tout particulièrement ce qui se dessine sous nos pieds. C’est simplement stupéfiant de verticalité, de vide, de brutalité.
La chute d’eau, que l’on entend gronder, s’écroule dans les abysses invisibles. C’est la star de ce paysage ; Grandiose !
Entre deux vagues de nuages, l’immense chute de Tugela Falls
Perdus dans nos contemplations, on va vite déchanter.
La pluie, le vent, l’orage et la grêle vont s’inviter à la fête ; En moins d’une heure, nous sommes trempés et frigorifiés.
Alors que l’on s’apprête à monter la tente en catastrophe, un guide et ses deux clients passent à proximité, direction le parking de Sentinel Peak, notre point de départ. On en profite pour discuter des conditions de la montagne, et aussi, des conditions de sécurité dans le massif.
On apprend qu’un nouvel incident a eu lieu la veille de notre départ, un peu plus loin ; Un incident qui implique qu’un groupe de randonneur aurait été pris à partie par des militaires pour être possiblement dépouillé de leurs biens, le tout sous la menace d’armes automatiques.
J’avais longuement disserté de cet aspect sécuritaire assez particulier avec Vincent avant de l’embarquer dans le projet, et je savais qu’il fallait ajouter le « risque humain » aux risques objectifs de la montagne. Mais là, c’est un cran au dessus des autres incidents des dernières années, et je ne sais pas vraiment jusqu’à quel degré cette histoire est réelle ; Elle reste plausible, et donc, il nous faut en prendre bonne note.
Entre le paysage du premier jour, la tempête et ces dernières nouvelles, on peut dire que l’accueil dans le Drakensberg est mémorable !
La tente est rapidement montée sous la grêle et le vent, l’intérieur prend l’eau, et nos affaires, avec. Réfugiés sous la toile, on grelotte pendant quelques dizaines de minutes avant de sortir matelas et sacs de couchage ; On essaye de maintenir ces précieux objets au sec le plus possible, et on se glisse dans le duvet pour se réchauffer.
Après une longue sieste qui nous permet de récupérer un peu, le temps s’éclaircit. Ça nous permet de sortir chercher de l’eau pour le soir et pour la cuisine ; Et surtout, ça nous permet enfin de profiter de la splendeur et de l’échelle démentielle de l’Amphithéâtre, au dessus duquel trône notre petit abri de toile.
L’obscurité s’avance très vite, mais d’abord, nous avons le privilège de vivre un premier bivouac exceptionnel
Sous la lumière du couchant, le décor est sublimé, et nous voilà sidérés devant la magnificence de ce que nous avons sous les yeux. Les plus hautes chutes d’eau du monde nous font face, et plongent sans fin dans les contreforts ; 983 mètres séparent le bord du plateau du socle de la montagne.
Derrière, les bords du plateaux se déchirent, et les faces basaltiques imposantes renforcent la sensation de vertige. Les couleurs orangées du ciel se fondent avec les verts et jaunes des herbages et des pentes supérieures, et se confrontent à l’obscurité oppressante du vide.
Définitivement, nous avons fait le bon choix en restant ici.
Peu importe l’humidité et le froid, peu importe la fatigue ou les jours à venir, ce premier bivouac sera inoubliable.
Demain matin, la lumière aura changé de côté, et – je l’espère – nous offrira un autre point de vue incroyable sur ce site magnifique.
Cette nuit, après la belle accalmie dont nous avons profité, la tempête s’est abattue sur nous. La tente a été secouée dans tous les sens, et je n’ai que trop peu dormi. Le vacarme est assourdissant, et les mouvements de la toile, inquiétants.
Un premier soir que nous ne sommes pas prêts d’oublier
3 – En équilibre : s’immerger en profondeur dans les terres
Chaque col est l’occasion d’en prendre plein les jambes, et plein les yeux ; Un autre versant est synonyme d’un autre point de vue, comme si un nouveau bonheur nous attendait plus loin.
Il en faut peu pour passer de la peine à la joie : c’est juste une histoire de quelques pas !
Il est déjà l’heure de quitter ce cadre inoubliable
Au petit matin, le vent s’est calmé, et nous avons pu repartir pour la suite de notre périple. Nous disons au revoir aux singes qui courent encore un peu partout dans les herbes hautes, et longeons l’impressionnant rebord du plateau ; La vue est parfaitement dégagée, et nous donne une grande gifle, en particulier Tugela Falls et le fond de son précipice.
Malgré mes incursions Alpines ou Himalayennes, notamment, je suis bluffé par l’esthétisme de ces montagnes, uniques au monde.
Le début de journée est difficile : nous portons nos vêtements et nos chaussures totalement imbibés d’eau, et déjà, une première montée nous met à mal. Ici et pour tout le reste de l’aventure, il n’y a aucun chemin, et le terrain est particulièrement retord.
Nous voici prêts à affronter les reliefs tumultueux du Lesotho
On navigue entre les pierres saillantes ou dissimulées, les herbes hautes à foison, et les trous invisibles un peu partout. Les pieds souffrent, l’altitude nous tabasse, et nous allons vite devoir apprendre à gérer au mieux les montées et les descentes pour limiter l’impact physique de nos journées de marche.
Chaque col est l’occasion d’en prendre plein les jambes, et plein les yeux ; Un autre versant est synonyme d’un autre point de vue, comme si un nouveau bonheur nous attendait plus loin. Il en faut peu pour passer de la peine à la joie : c’est juste une histoire de quelques pas !
Une fenêtre sur le vide, et une belle vue sur les contreforts Sud Africains
Notre première rencontre avec un berger du Lesotho ce jour là se passe sans accroc. En une poignée de minutes, sur un sol très accidenté, il couvre le kilomètre qui nous sépare et vient quémander de l’argent ou des cigarettes ; Nous n’avons rien de cela, mais décidons à la place de partager un peu de nos provisions du jour.
Une dernière montée nous amènera à notre second emplacement de bivouac ; À l’hôtel aux millions d’étoiles, nous dormirons du sommeil du juste face à un paysage une nouvelle fois sans pareil.
Un deuxième soir incroyable, sous le feu du ciel
Vint ensuite un troisième jour, sous le soleil et un vent changeant, tout comme le précédent.
Dès 08 heures 30 nous nous mettons en route dans ce somptueux décor. La journée s’annonce être une succession de montées et de descentes, mais assez rapidement, nous avons la chance de tomber sur une sente marquée qui nous permet de bien dérouler nos pas.
Près de la première rivière, nous croisons un sympathique petit groupe de 3 jeunes, qui vont dans le même sens que nous et descendent jusqu’à Cathedral Peak.
Nous nous rencontrerons plusieurs fois, jusqu’à ce que nos chemins se séparent dans l’après midi ; Eux partent dormir à Ledgers Cave – une cavité naturelle parmi les nombreuses qui se trouvent sur le massif – et nous remontons quant à nous jusqu’au col de Rockeries Pass pour y trouver un emplacement.
Au matin, l’emplacement nous laisse toujours aussi rêveurs
Là haut, nous faisons face à 3 bergers, que nous saluons chaleureusement. Ils ne semblent pas intéressés par notre présence, et, rapidement, prennent le chemin de la vallée que nous venons de franchir.
À la tombée de la nuit, nous montons notre tente à l’écart du col, cachée derrière des rochers ; Entre le repas et le coucher, nous irons plusieurs fois surveiller les alentours. L’obscurité étant absolue, nous trouvons trace d’un feu de camp et du bruit, à plusieurs kilomètres en aval de notre position ; Il faut dire qu’après que trois lampes frontales aient survolé notre abri, à l’heure où nous préparions notre cuisine, nous avons redoublé de prudence.
Rétrospectivement, je pense qu’il s’agissait des 3 jeunes qui ont du trouver leur cave déjà occupée, ou qui l’ont quittée pour une raison inconnue ; Toutefois, la règle que nous nous sommes imposés avant même le début du voyage tient toujours : donner une attention maximale à nos points de bivouac.
Et après avoir précisé maintenant combien le décor de Rockeries Pass et le coucher du soleil furent des délices absolus pour nos yeux ébahis, et avoir tenté de décrire les ombres et les lumières, puis les couleurs orangées du crépuscule, je vais maintenant me lancer sur un sujet plus sérieux.
Un soir de pleine lune au dessus de Rockeries Pass
4 – Le « Rempart de Lances » : se préparer face aux dangers
Comme toute problématique naturelle que l’on pourrait rencontrer en montagne (chute de pierre, hypothermie, désorientation…) les « mauvaises rencontres » peuvent être en partie évitées. Mais comme tout problème, il faut aussi avoir conscience qu’une grande part de chance est requise pour que le voyage se passe bien.
Spoiler : nous n’avons vécu aucun incident pendant deux semaines, et avons fait de belles rencontres en chemin !
Nous sommes peut être dissimulés, mais au moins, l’endroit a du charme !
Deux jours avant notre arrivée à Tugela Fallas, à quelques encablures de là, sur la Thanyaku River, un groupe de plusieurs randonneurs, leurs guides et porteurs, ont été attaqués à l’arme de guerre par des militaires, accompagnés par des bergers et au moins un policier du Lesotho. Guides et porteurs ont notamment été mis à genoux, et ont subit une simulation d’exécution en présence des touristes ; Plusieurs objets de valeur ont été dérobés dans la manœuvre.
Quelques semaines plus tôt, un couple a reçu une pluie de pierres de la part de deux Basothos, entraînant des blessures sévères à la tête pour une personne, et le vol de leurs biens.
Plusieurs autres incidents de ce type ont été recensés au cours des dernières années sur le massif ; En général, bergers, braconniers ou passeurs sont mis en cause, et commettent des vols – parfois avec grande violence – au préjudice de randonneurs.
Tentes lacérées, menaces, jets de pierres, sont les cas les plus fréquents, et certaines zones en particulier semblent privilégiées, et identifiées.
L’une des zones connues pour ses incidents (source : Vertical Endeavor forum)
Dès lors, si vous avez la volonté de parcourir le Drakensberg à pieds, en groupe ou en solitaire, il m’apparaît logique de prendre en compte ce danger humain, et de l’additionner aux dangers objectifs. À l’altitude élevée, à la météo et au terrain – notamment – il faut ajouter le risque de vol et d’agression physique.
Tout comme les risques objectifs, ignorer cet aspect et le classer au ban des statistiques marginales, c’est s’exposer à des conséquences potentiellement délicates, qu’il aurait pourtant été possible d’atténuer (sinon d’éviter) par des comportements adaptés.
Avant de partir, Vincent et moi avions donc cette réalité en tête ; Et nous avons ainsi convenus des conduites à tenir en cas de mauvaise rencontre.
Dans un premier temps, il faut bien sur garder une courtoisie exemplaire et du respect envers toute personne rencontrée sur le chemin. C’est basique, mais parfois, ça a tendance à « échapper » à certains.
De manière plus pragmatique, nous nous sommes imposés quelques règles simples :
-
Ne déployer la tente qu’après le coucher du soleil, sur une hauteur, dissimulée et hors des axes de passage.
-
Saluer chaleureusement toutes les personnes qui croisent notre route ou notre regard, s’arrêter discuter quand c’est possible, ne pas donner d’argent ou d’objet de valeur, partager éventuellement notre nourriture.
-
Identifier et localiser une présence humaine de jour, avant l’installation, comme de nuit (savoir observer les mouvements, les lumières, les sons, tout en restant totalement immobiles et dissimulés)
-
Ne pas s’arrêter dans les zones déjà connues pour des attaques précédentes.
-
Garder à portée de main, notamment la nuit, un bâton de marche, une pierre, un couteau, ainsi que sa frontale et ses chaussures ; Protéger ses objets de valeur, ne pas mettre son sac et ses affaires dans l’abside de la tente.
Enfin, je dirais que ce qui m’apparaît comme le moins naturel – et pourtant peut être le plus important – c’est d’échanger à haute voix entre les participants sur les mauvais scénarios possibles et leur résolution, et d’être capables de mettre en place des réflexes adaptés et efficaces.
Nous avions par exemple convenus, si nous étions pris à parti par des jets de pierre hors ou sous la tente, de riposter le plus rapidement et le plus fort possible, de combler la distance avec nos agresseurs, et de prendre l’ascendant physique pour mettre en fuite ou neutraliser.
Fuir, une fois au contact d’assaillants est impossible : le sac de 25kg, la méconnaissance des lieux, l’effet de surprise, l’altitude, le terrain lui même, la nuit … La seule option est parfois d’affronter le danger de manière frontale, tout en gardant à l’esprit les conséquences que cela aurait.
Volontairement, je ne détaillerais pas plus nos différentes hypothèses de travail, mais ça me paraît être un volet non négligeable de la préparation de ce voyage.
Comme toute problématique naturelle que l’on pourrait rencontrer en montagne (chute de pierre, hypothermie, désorientation…) les « mauvaises rencontres » peuvent être en partie évitées. Mais comme tout problème, il faut aussi avoir conscience qu’une grande part de chance est requise pour que le voyage se passe bien.
Spoiler : nous n’avons vécu aucun incident pendant deux semaines, et avons fait de belles rencontres en chemin !
Profiter des étendues infinies en toute sérénité, se prépare avec minutie
5 – L’échine du Dragon : arpenter un fil entre les mondes
Au matin, un troupeau de vaches est venu à notre rencontre pour nous saluer. Je leur retourne la politesse en faisant quelques photos de ces belles bêtes dans ce grand décor.
On dit au revoir à notre magnifique spot, et partons confiants vers le suivant
Le 20 avril, le soleil se lève sur un décor parfait dans les hauteurs de Rockeries Pass ; La nuit a été sans sommeil, après le petit rappel de sécurité que nous avons vécu la veille.
Une très longue journée nous attend, parsemée de cols et de longues vallées ; Le parcours est éprouvant. Pour rejoindre Xani Pass, la montée de plusieurs kilomètres se fait sous un gros cagnard, sans vent pour nous rafraîchir. Plusieurs fois, on affronte les pentes droit dedans, au travers des barres rocheuses et dans les dévers les plus retords.
Dans la dernière montée, très longue également, un horseman et ses chiens viennent à notre rencontre. On se salue ; Le berger me propose de monter nos sacs en désignant le haut du col … J’avoue ici avoir eu un petit manque de confiance pour lui confier toutes nos affaires et nos valeurs !
Les contreforts du massif, dans le versant Sud Africain, sont époustouflants
Je décline poliment, et l’homme s’éloigne très vite au galop ; On lui emboîte le pas, beaucoup plus lentement cela dit.
Arrivés en haut, presque au terme de la journée, on s’oriente par erreur vers un petit collet raide en contrebas de notre position ; On s’y pose, lessivés, avant de voir que l’objectif se trouve de l’autre côté d’un immonde ravin, abominablement raide et exposé.
Sur la carte papier, on devine qu’une trace devrait passer plus haut et redescendre de l’autre côté de manière plus « naturelle ». On s’emploie à remonter, péniblement.
Après la dernière descente, au pied d’Elephant Gully, mes jambes sont lourdes, et les pieds, douloureux.
La récompense se trouve dans un nouveau bivouac de folie, heureusement ! La vue est dingue, mais alors que la nuit tombe, le vent s’invite.
Au terme d’une longue journée, la récompense est de dresser notre tente ici
Nouvelle soirée dédiée à observer les vallées alentours ; Nous avons pu voir que notre horseman a franchi Cockade Pass, à près de 6 kilomètres de là. Lorsque l’obscurité est totale, nous voyons une lampe frontale se promener en fond de vallée, assez loin de notre position pour ne pas nous inquiéter ; Le repas se prépare, et nous avons grand besoin de repos.
La tente est ballottée par une autre tempête, nous dormons peu.
Au matin, en haut de Cockade Pass et après une montée très soutenue, on s’aperçoit qu’on s’est fortement écartés de la trace. Vincent et moi ressentons une certaine frustration, à l’idée de devoir rejoindre le col d’Organ Pipes situé bien trop loin et trop bas de notre position.
Il nous faut encore nous battre dans des pentes en dévers extrême, dans les pierres et les herbes, à franchir des éperons à l’aveugle, sans avoir la certitude que nous pourrons continuer derrière. La descente est interminable, et particulièrement violente pour les articulations.
L’envers d’Organ Pipes, nous voilà partis dans une descente abyssale et dangereuse
Après une petite pause sur le col, on remonte dans le raide jusqu’au sommet d’un couloir étroit. De l’autre côté, la pente est dangereusement inclinée ; Le sol est jonchée d’immenses trous, de touffes d’herbes abondantes, de goulottes de ruissellement, et de pierriers. La moindre chute aurait de grosses conséquences.
Et une fois en bas, il faut encore longer une barre de rochers au dessus du vide, avant de remonter de l’autre côté vers Smuggler’s pass.
Un répit de courte durée, après Smuggler’s Pass
Deux heures durant, nous allons encore enchaîner montées et contournements ; C’est sans fin. Une dernière descente soutenue nous amène au fond d’une vallée verdoyante où de nombreux troupeaux de vaches et de moutons paissent paisiblement.
On choisi de se rajouter un peu de difficulté en remontant vers l’autre versant pour s’écarter des vues. Un 5ème bivouac absolument magique nous attend !
Nos voisins sont plutôt sympathiques, sur ce promontoire avec vue
Au matin, un troupeau de vaches est venu à notre rencontre pour nous saluer. Je leur retourne la politesse en faisant quelques photos de ces belles bêtes dans ce grand décor.
On profite encore un peu du cadre somptueux, et on se met en route. Le début de journée sera une succession de grimpettes droit dans le dur, au travers des innombrables rochers ; Le physique est mis à mal.
Le reste sera passé à chevaucher les crêtes arides, sous des rafales de vent désagréables, jusqu’à une dernière descente où nous trouvons enfin une petite terrasse à aménager pour poser la tente.
La routine du soir est mise en place : on prépare l’eau chaude, on dispose nos affaires, on se met au sec. Et puis surtout, on discute de tout, de rien, de la journée passée, et de ce qui nous attend demain ; On envoie notre position aux proches restés en France, et on s’endort comme on peut.
Un soir loin de tout, à l’intérieur des terres
6 – Le château dans le ciel : danser au dessus des nuages
La toile se contorsionne toute la nuit sous les assauts du vent, et nous avons clairement atteint les limites de résistance de notre abri.
Le ciel est clair lorsque nous entamons notre escalade matinale ; L’ivresse des cimes est rapidement temporisée par l’appréhension du vide qui s’ouvre à côté de nous.
Un château dans le ciel
Lorsque le soleil se lève, on assiste à un spectacle fantastique : le monde sous nos pieds est plongé dans une gigantesque mer de nuages.
Le parcours du jour nous fera encore enchaîner les crêtes, et sera un peu plus facile que les jours précédents. Tant mieux, nos organismes et nos os commencent à franchement tenir le compte des dénivelés et du stress mécanique important que nous leur faisons subir depuis le départ.
Ça nous permet aussi d’apprécier plus encore l’intensité du paysage sur le versant Sud Africain.
Un spectateur de nos piètres performances de grimpeurs
Je ne dirais pas qu’on s’habitue au découpage spectaculaire des falaises, loin s’en faut ; Mais cet océan de coton en perpétuel mouvement a quelque chose de fascinant et d’onirique, qui rend l’expérience toujours plus intense.
Les vagues viennent s’écraser contre les murailles de notre forteresse imprenable, dans un ressac perpétuel. Aérosols aériens, les embruns retombent parfois en gouttelettes sur nos visages, renforçant plus encore la sensation de confrontation entre le milieu aquatique et l’empire terrestre.
Vincent a trouvé là une source inépuisable d’émerveillement, et je partage son enthousiasme.
Vient un autre soir, où nous posons la tente face à un coucher de soleil flamboyant, toujours au dessus des nuages. Parfois, les couleurs virent au pastel, et viennent me rappeler les jours d’hiver en Laponie et la symphonie sans pareil des teintes oranges, mauves et roses qu’il est possible d’y admirer.
Il faudrait être fou pour ne pas rêver de troquer le confort du canapé pour l’inconfort des nuits étoilées !
Le vent semble quant à lui se lever, et les prévisions météo de mon GPS vont en ce sens ; Aussi nous prenons le temps de bien ancrer les haubans, et de dresser un petit mur de pierres tout autour.
Un mal de dos assez pénible s’est installé chez moi depuis quelques jours, et m’oblige à me retourner très fréquemment pendant la nuit ; Le sommeil est mauvais. Nous prenons le petit déjeuner sous le soleil levant, et avec une vue imprenable sur nos premiers rendez-vous de la journée : Judge Pass et Corner Pass.
La montée est difficile, raide, cassante ; Et la descente l’est tout autant, sur un sol piégeux et irrégulier. Ce n’est que le premier enchaînement d’une très longue série de pentes délicates, qui nous emmène jusqu’au Jarateng Pass, tout au bout d’une vallée isolée.
L’ambiance est toujours saisissante
On est tous les deux très épuisés ce soir, mais la vue d’un berger et de son chien sur l’immense mur qui, de près de 200 mètres nous domine, nous redonne un regain d’énergie bienvenu. Comme toujours, on observe un temps de pause jusqu’à la nuit, qu’on met à profit pour trouver le meilleur spot pour le bivouac, et pour réaliser une reconnaissance.
Dubitatif, je suis persuadé que demain nous allons devoir escalader la falaise qui nous surplombe. Aussi, entre la présence humaine et le besoin de vérifier l’itinéraire, on décide de cacher nos sacs et de grimper.
Le plus beau bivouac du monde ? Enfin, ça devient dur de les départager !
Il faut effectivement assurer quelques pas d’escalade, au dessus d’un abîme vertical de plusieurs centaines de mètres ; Je n’aime pas l’idée de faire ça avec un sac lourd, mais au petit matin, le corps et l’esprit reposé, ça devrait fonctionner sans problème.
Avant de franchir la crête sommitale, on se rend compte que le soleil nous est très défavorable : depuis l’autre côté, nous serons parfaitement visibles, découpés sur l’horizon, sans que nous puissions correctement distinguer une présence dans l’ombre de la vallée.
On s’adapte, et on longe la montagne dans ses parties plus obscures sous son sommet ; Sans un bruit, on marche à ras le sol, nos sens en éveil. Nous passerons un bon moment à attendre, mais le berger et les chiens sont définitivement retournés dans la vallée ; La vue est belle, mais nous sentons l’épuisement nous gagner, et repartons vers nos sacs.
Définitivement, mon binôme se prend de passion pour la danse des nuages
Au vu de l’exposition de l’endroit, et des risques de vent fort, nous prenons encore le temps de solidifier le camp par des amoncellements de pierres. Heureusement, car cette nuit, nous rentrons de plein pied dans une grosse tempête.
La toile se contorsionne toute la nuit sous les assauts du vent, et nous avons clairement atteint les limites de résistance de notre abri ; Je n’ai pas de quoi mesurer précisément, mais mon expérience passée me fait dire que, à plusieurs reprises, les rafales ont dépassé les 100km/h.
Le ciel est clair lorsque nous entamons notre escalade matinale ; L’ivresse des cimes est rapidement temporisée par l’appréhension du vide qui s’ouvre à côté de nous.
Pour commencer, on va grimper sur le flanc gauche de la falaise, au dessus de quelques centaines de mètres de vide
Après la première longue descente, je sens venir un intense mal de tête ; Au vu des efforts de la veille, des bains de soleil, et du fait que nous sommes tout le temps au dessus de 2700m d’altitude, je ne suis pas étonné. D’autant que la nuit ne m’est plus réparatrice depuis longtemps désormais.
Une autre succession de montées et de descentes dures et interminables jalonne notre journée ; Vincent est mutique, lessivé lui aussi.
Heureusement, on fini par atteindre un plateau aride aux airs d’Arizona qui nous permet une évolution plus facile, alors que le soleil décroît. La relative facilité nous fait du bien, et nous permet de dévorer les derniers kilomètres de la journée avant de redescendre trouver un nouvel emplacement pour la nuit.
Juste avant de basculer dans la pente, nous faisons une longue pause, dissimulés, pour laisser partir deux bergers et leur troupeau vers une autre vallée ; Nous attendrons qu’ils soient suffisamment bas et éloignés avant de reprendre notre chemin, invisibles.
Nous trouvons un endroit discret et adapté, dissimulé entre plusieurs strates de barres rocheuses ; Le temps est toujours de la partie, et la vue, comme tous les soirs maintenant, est à tomber. L’horizon mêle les vallées innombrables du Lesotho sur notre droite, et l’escarpement vers l’Afrique du Sud à gauche, toujours nimbé de nuages et des teintes oranges et rouges du couchant.
Un autre soir sous des couleurs féériques
7 – Le bout du chemin : savoir redescendre et accepter de rentrer
Je commence à ressentir l’énergie négative qui annonce la fin du chemin ; C’est ancré en moi : à chaque fois que j’approche des derniers kilomètres, des dernières étapes, je sens monter en moi la nostalgie du voyage.
Je ne veux pas redescendre, je ne veux pas que ça s’arrête.
Derrière nous, les vestiges des jours passés
Le 26 avril, c’est une journée assez courte et peu soutenue qui nous attend. La pluie devrait s’inviter dès l’après midi, et, au vu de la distance qu’il nous reste à parcourir, nous choisissons de ne pas nous avancer trop loin.
On descend de notre perchoir sous le soleil et avec, comme toujours, une vue superbe.
Et, comme toujours, la pente est raide et jonchée de pierres, de buissons, de touffes d’herbe géantes et de trous béants ; Nos articulations n’ont décidément aucun répit.
La vallée qui s’ouvre maintenant devant nous est immense et verdoyante ; Les nombreux abris de pierre sur les hauteurs témoignent d’une forte présence des bergers du Lesotho dans ses méandres. Nous croisons d’ailleurs la route de plusieurs troupeaux, alors que nous remontons le lit de la rivière sous des nuages qui lentement se massent au dessus de nos têtes.
Peu après 11 heures, la visibilité est nulle, et nous ne nous orientons plus qu’au GPS dans un brouillard dense. En quelques heures, les premières gouttes de pluie finissent par glisser sur nos vestes ; Nous trouvons rapidement un emplacement approprié pour poser la tente, à l’écart du cours d’eau et proche du bord du massif.
La brume nous masque totalement, et les températures chutent assez rapidement. Nous en profitons pour nous caler une bonne sieste dans les duvets, en attendant la tombée de la nuit.
Quelques informations utiles sur la faune au dos des cartes
Il ne cessera pas de pleuvoir, et au dehors, il n’y aura toujours aucune visibilité. Masqués par l’obscurité et les nuages épais, nous ne déplacerons pas notre abri, nous estimant en sécurité pour le moment.
Le jour suivant, nous planifions un départ tardif, vers 10 heures, le temps de faire sécher un peu la tente et nos affaires au soleil. Face à notre camp se trouve celui d’un berger que nous avons entendu hier après midi ; Il déambule dehors avec une radio portative à énergie solaire qui diffuse de la musique locale, qu’il semble particulièrement apprécier. On l’entend d’ailleurs chantonner quelques fois.
Lorsqu’il vient à notre rencontre, nous le saluons chaleureusement ; Il respire une joie de vivre simple, ne nous demande rien, et se contente de sourire et de nous saluer en retour lorsque nous partons.
Près de sa bergerie, nous croisons ses chiens, un peu moins amicaux, mais qui restent néanmoins à bonne distance.
L’une des nombreuses bergeries dans le massif. Celle de notre « disco Basotho » !
On poursuit jusqu’à midi dans des pentes à gros pourcentage, jusqu’à arriver à un col qui marque les dernières difficultés du voyage. Le Thabana Ntlenyana, plus haut sommet d’Afrique australe, nous regarde goguenard à quelques kilomètres de là, du haut de ses 3482m ; Nous préférons faire la sieste sur notre col pendant une bonne heure, que d’en faire l’ascension.
Non pas que nous n’aurions pas le temps ou l’énergie (quoi que) mais simplement, c’est un sommet inesthétique, qui ressemble trait pour trait à tous les points plutôt communs que nous avons déjà parcourus jusqu’à présent ; Le fait qu’il soit « plus haut » ne m’attire pas et ne semble pas justifier que nous partions à sa rencontre.
Lorsque l’on décide de poursuivre, on rejoint d’abord une rivière en fond de vallée pour faire le plein d’eau pour la soirée ; Ensuite, nous rebroussons chemin pour trouver une zone adaptée à notre bivouac proche des falaises. On passe pas mal de temps à chercher, entre les dévers, les cailloux, et la purée de pois qui nous empêche d’analyser le terrain.
La vue est totalement bouchée par le nuage, mais nous finissons par trouver ce qu’il faut ; Une autre soirée où le ciel finalement s’éclaircit, et nous voilà à profiter encore une fois d’un très beau point de vue.
Après une fin d’après midi maussade, le ciel nous laisse profiter un peu du spectacle au crépuscule
D’un côté les grandes vallées du Lesotho, surplombées par les sommets arrondis ; Les prairies fendues par d’abondantes rivières commencent à ternir et à virer à l’ocre, signe que l’arrivée de l’hiver s’amorce lentement.
De l’autre, le plateau et le vide Sud Africain ; Les sommets acérés dominent des vallées enfouies plusieurs milliers de mètres au dessous, qui semblent s’étirer à l’infini vers les villages et les plaines du KwaZulu Natal.
Je commence à ressentir l’énergie négative qui annonce la fin du chemin ; C’est ancré en moi : à chaque fois que j’approche des derniers kilomètres, des dernières étapes, je sens monter en moi la nostalgie du voyage. Je ne veux pas redescendre, je ne veux pas que ça s’arrête.
C’est difficile à expliquer, mais cette « obligation » de finir me déplaît. J’aurais envie d’un sac à dos magique, qui se remplit tout seul de 15 jours supplémentaires de nourriture, et surtout, j’aurais envie que le temps s’arrête.
Demain, ce sera la dernière étape de montagne, qui ne durera qu’une poignée d’heures, juste le temps d’une dernière montée. Puis il faudra rejoindre la civilisation.
La nuit est glaciale, et au petit matin, le givre a recouvert de sa coquille blanche tout l’extérieur de la tente. Pour Vincent, c’était une mauvaise nuit ; Je ne sais pas quelles étaient les températures, mais son sac de couchage était à la limite.
La tente termine de se réchauffer au soleil, les vallées, elles, changent de saison
Nous n’avons aucun impératif de temps, n’étant séparés de notre prochain bivouac que par une seule descente, et une seule montée.
Aussi nous avons tout loisir d’étendre une nouvelle fois nos affaires au soleil, et de laisser un peu sécher la tente.
On longe la vallée, puis on remonte les pentes, et nous voici arrivés au dessus de la dernière vallée. Au loin, on devine maintenant la seule route du massif, qui relie le Lesotho à l’Afrique du Sud, par le col du Sani Pass.
Il nous faut un peu de temps pour trouver un bon emplacement, mais nous finissons par nous poser à un endroit suffisamment beau et dissimulé pour nous convenir.
Nous faisons une longue sieste jusqu’à la tombée de la nuit, et montons finalement la tente dans l’obscurité totale, après un coucher de soleil une nouvelle fois splendide.
Dernier bivouac, et bon sang, c’est toujours aussi beau !
C’est notre dernier bivouac, et nous savourons un peu du ciel étoilé avant d’aller dormir ; Il est possible de deviner la voie lactée, tant les cieux sont limpides et les astres, étincelants. Il n’y a pas de bruit, sinon celui des troupeaux et des chiens dans le lointain, et aucune pollution lumineuse.
Une toute dernière fois, le Drakensberg s’éteint, et nous laisse seuls au monde.
Lorsque nous replions pour la dernière fois la tente le matin du 29 avril, il est tôt. Dès 07 heures 30 nous amorçons la descente ; Effectivement, normalement, vers 13 ou 14 heures, nous devrions retrouver notre chauffeur de taxi au poste de douane du Sani Pass, sur le côté Sud Africain.
C’est en tout cas ce que nous avons pu prévoir et convenir par de brèves conversations SMS initiées depuis mon GPS ; Nous croisons les doigts pour que les étoiles s’alignent.
Nous encaissons près de 400m de dénivelé négatif sur une très courte distance, dans un terrain toujours particulièrement abîmé et délicat. Nous arrivons malgré tout assez vite en bas, et le fond de la vallée nous laisse davantage déployer nos jambes et allonger notre foulée.
En une heure, nous avons avalé plus de 5 kilomètres, malgré la descente scabreuse du début.
On remonte maintenant en parallèle de la route dans la direction du Sani Pass. Et vers 10 heures, nous franchissons le poste frontière sans difficulté, après quelques échanges cordiaux avec les « douaniers ».
La frontière du Lesotho, et la fin de notre itinérance, ou presque
Nous sommes autorisés à aller prendre un verre au « Sani Pub », le plus haut pub d’Afrique situé à quelques centaines de mètres de là, sur le territoire du Lesotho ; Nous ne nous en privons pas !
Pendant une poignée d’heures, nous profitons de la terrasse pour manger et boire à l’envie, et du wifi pour envoyer et recevoir quelques nouvelles du monde moderne.
Parce que nous l’avons amplement mérité !
Vers 12 heures 30 nous voilà retournés au parking du col, où nous attendons notre taxi. 13 heures … 14 heures … Rien. Je me dis qu’il nous a oubliés, et je lui renvois deux messages depuis le GPS, sans réponse.
Entre temps, le cuisinier du Sani Pub est venu sélectionner lui même son prochain mouton, après que deux bergers locaux soient venus avec quelques spécimens pour les vendre au poste frontière ; La douanière s’occupe de payer en liquide, et devant nous, les deux hommes attrapent leur bêlante victime, et mettent fin à sa vie à l’aide d’une lame affûtée ; L’animal est rapidement dépouillé et disposé sur des rochers pour « sécher ».
Au Sani Pub, qu’on se le dise, les produits du terroir sont servis frais !
Il n’en faut pas davantage pour revenir progressivement sur terre
Retour au pub pour tenter de trouver un autre chauffeur. Il nous faut couvrir plusieurs heures de route jusqu’à notre destination finale de Bushman’s Neck – un ranch au pied des montagnes. Finalement, j’arrive à appeler notre chauffeur, qui est resté en bas du col.
Petit quiproquo : il y a deux frontières ! Une en bas, qui est Sud Africaine, et celle du col, qui appartient au Lesotho. 6 kilomètres de route accidentée sépare les deux points, et Cédric, notre taximan, nous indique qu’il n’a pas de véhicule adapté.
Il remonte vers nous autant qu’il le pourra, et nous, nous redescendons à pieds à sa rencontre.
Vincent est agacé, je comprends parfaitement. J’essaye de le détendre et de lui expliquer que ça fait partie des aléas de ce genre de voyage, et que ce n’est pas si grave ; Mais en vérité seul l’objectif du confort du véhicule est désormais dans nos têtes, et nous sommes deux à maugréer tout du long.
Repartir en galopant comme des forcenés nous mine le moral, et ça se ressent sur le physique ; Cette dernière descente, on la subit !
Enfin, nous retrouvons Cédric, et pouvons nous reposer pour de bon. La montagne s’éloigne derrière nous, les routes deviennent larges et les reliefs s’adoucissent ; On peut le dire, ça sent la fin.
On s’émerveille encore des vues que l’on a durant la petite heure et demi de route ; Les montagnes autour de Giants Cup et Bushman’s neck prennent l’orage de plein fouet. La lumière est démente, et les contrastes incroyables entre les plaines éclairées et les sommets obscurcis.
Le cadre absolument dingue de Bushman’s Neck, sous un ciel d’orage
Les kilomètres défilent, au gré des ranchs et des immenses terres de cultures et de bétails ; On ne sait plus très bien si on est en Afrique du Sud ou dans l’Ouest Américain.
Et puis, finalement, Bushman’s Neck, terminus de notre périple.
L’hôtel fait face au Drakensberg, tout comme notre chambre immense, et sa terrasse. On profite de la douche, du bar, de la piscine et du restaurant, dans une ambiance cosy et chaleureuse ; Je mentirais si je disais qu’on ne prend pas plaisir à revenir sur « terre » dans ces conditions.
Pour clore ce voyage, nous passerons encore quelques jours à nous reposer ici, et ensuite à Durban.
Ce choix d’un sas de décompression – très à propos – nous a permis de pouvoir bien savourer notre aventure, de la digérer déjà un petit peu, et de passer du temps libre à « ne rien faire » avant de revenir à nos quotidiens respectifs.
Un magnifique sas de décompression avant de rentrer
Le mot de la fin
Je ne peux que dire à quel point je suis reconnaissant de connaître ces expériences inoubliables, d’où je tire un immense bonheur. Et d’ajouter – et c’est sans doute plus important encore – que je suis honoré de partager et de transmettre cela en de trop rares occasions à des amis et compagnons de voyage.
Après une journée éreintante, le soir voit l’homme se soumettre au vide de la contemplation
Assis sur un rocher suspendu au bord du vide, alors que l’aiguille de la montre frappe bientôt les 18 heures, je contemple un dernier point de lumière orange disparaître derrière Giants Castle.
Le silence est total, à l’exception des sifflements du vent frais au creux de nos oreilles ; Je respire lentement, délicatement, pour ne pas briser ce moment.
L’horizon me semble si proche que je pourrais le toucher du doigt ; L’infinité des détails du paysage me frappe et me fascine. Dans le fond, dans l’abîme, dans l’obscurité absolue, je distingue clairement chaque rocher, et chaque ruisseau ; Et dans chaque ruisseau, je vois mon reflet, le reflet de celui que j’étais, et de celui que je deviens.
Un certain Nietzsche écrivait « Si tu regardes longtemps dans l’abîme, l’abîme regarde aussi en toi » ; Je ne comprends pas bien cette phrase et le sens qu’il voulait lui donner, mais je crois que tout en bas, ce soir, mon « moi » passé me fixe intensément. Ça ne me met pas vraiment mal à l’aise, au contraire ; J’imagine qu’il doit être satisfait et même plutôt fier de la distance entre nous, et des hauteurs sur lesquelles je me tiens aujourd’hui.
Malgré le temps qui passe et cette distance qui ne fait que croître, je suis, de mon côté, tout à fait heureux de ne m’être jamais complètement perdu de vue.
Je singe un signe de tête à cette silhouette qui disparaît bientôt, et je jette brièvement un œil sur ma gauche.
Les pensées s’empilent, s’obscurcissent, s’embrument. Puis, au petit matin, l’esprit à nouveau s’éclaircira.
Sur son bout de cailloux, Vincent est aussi en train de « faire la pierre » et ça me saute aux yeux ; Je connais par cœur ce regard lointain et fuyant, cette absence de mouvement, et ce relâchement total des muscles du visage.
C’est ce qui se dessine à l’extérieur lorsque l’intérieur a pris le dessus. C’est ce que je pratiquais moi même il y a encore de cela deux minutes.
Je le laisse à sa méditation, forcément nécessaire ; J’esquisse un sourire, et retourne à mes propres pensées.
Cette plénitude, c’est ce que je désigne depuis des années comme mes « minutes d’éternité » ; Un état second pendant lequel tout semble parfaitement s’aligner et s’accorder.
C’est l’instant où l’on prend possession de ses émotions, et pleine conscience du Pourquoi nous sommes ici, en ce lieu et en ce moment donné ; La raison disparaît, et seul le cœur est désormais aux commandes.
C’est un instant de grâce unique, que les mots les plus savoureux ne sauraient décrire.
Et je crois fermement qu’il n’y a que lorsque je pars à l’aventure que je peux vivre cela. Lorsque je me dépouille de tout ce qui est futile, et qu’il ne reste plus que le rêve et la beauté, alors là et seulement là, je me sens enfin en accord avec moi même.
Un coup de vent un peu plus fort vient déranger nos pensées et faire claquer la toile de la tente. Nous échangeons un regard ; « Il fait froid ce soir ! » précède « On va manger ? » et dès lors, nous rejoignons rapidement notre abri, sous l’œil amusé de la voûte étoilée.
Pour prendre la pleine mesure de la beauté du monde, il faut s’y être confronté. Il en va de même pour la beauté de l’Etre.
Lorsque je note ces pensées dans mon carnet ce soir là, je ne peux que dire à quel point je suis reconnaissant de vivre ces expériences inoubliables, d’où je tire un immense bonheur. Et d’ajouter – et c’est sans doute plus important encore – que je suis honoré de partager et de transmettre cela en de trop rares occasions à des amis et compagnons de voyage.
Merci à Vincent de m’avoir accompagné (et supporté) pendant ce périple exigeant ; Pour un premier voyage au loin et une première itinérance au long cours, c’était une sacrée aventure.
Pour l’avoir vécu moi même, et avoir été à l’exacte même place il y a de cela 12 ans maintenant, j’espère que ces semaines hors du temps t’auront marqué à leur juste valeur. Je pense, sans trop m’avancer, que ces souvenirs vont demeurer vivaces de très nombreuses années ; Puissent-ils inspirer d’autres épopées au moins aussi fantastiques !
Merci de m’avoir permis de devenir, l’espace de deux semaines, un « passeur d’émotions ».