Arrivée et Nouveau Départ
« Les aéroports ont vu bien plus de baisers sincères que les églises et les salles de mariage »
Lulea, premier arrêt !
18 août 2018, la chambre cosy et confortable du « Quality Hotel » va me permettre de récupérer un petit peu de cette journée marathon. D’ailleurs, c’est aussi la fatigue cumulée des derniers jours – couplée aux inévitables tracas du départ – qui m’a usé et a laissé des traces sur l’organisme.
Le réveil à 04 heures est une torture : je suis épuisé, et perclus de courbatures terribles aux jambes (des restes de séances de sport un peu trop appuyées, assurément). Je somnole à moitié, passager d’une voiture qui m’emmène jusqu’à l’aéroport de Strasbourg Entzheim ; Je peux bien le dire, j’ai très envie de partir, mais ce départ là, je le subis.
J’aimerais dire que c’est du dépaysement total, mais ce serait mentir.
Mais d’ailleurs, dans quoi est-ce que je me suis embarqué exactement ?
Le projet consiste à rejoindre Lulea, en Suède, puis prendre la route en bus et me faire déposer à Saltoluokta, au pied du Kungsleden. De là, je gagnerais en deux jours la porte du Parc National du Sarek, une gigantesque étendue de nature vierge au cœur de l’Europe que je traverserais en une semaine.
Peu de chemins, beaucoup de cours d’eau à franchir, un seul abri de secours en plein milieu, une météo réputée difficile voir dantesque, bref, un vrai bol d’air frais, nécessaire !
A la sortie, retour sur un chemin plus fréquenté, avec quelques jours sur le Padjelanta, avant de bifurquer en direction de la Norvège pour les deux derniers jours, et un retour en avion depuis Bodo.
Au total, il me faudra 14 jours en autonomie complète pour parcourir les presque 300km qui s’étireront sous mes pieds, avec pour seul compagnon mon sac de 21kg.
Le départ pour moi représente l’arrivée pour d’autres
Retour à l’aéroport, en ce beau matin d’août. La voiture s’arrête sur un parking pour le moment peu fréquenté, et ma moitié m’accompagne jusque dans le hall des départs. Je suis content qu’elle ait pu m’emmener ce matin, car pour elle non plus ce n’était pas vraiment la frite hier encore.
Une fois les formalités d’usage accomplies, et le lourd bagage déposé vers – je l’espère – sa destination finale, l’heure de se dire au revoir est arrivée. Je pensais que ce serait un peu compliqué, et ça l’a été.
La symbolique est forte, il faut le dire. Quel plus bel endroit qu’un hall de «départ » ? Éventuellement, un quai de gare peut tenir la comparaison, mais qu’importe. Le lieu et l’instant se conjuguent à la perfection, et au moment de partir, je sens monter les larmes. C’est un trop plein, une rencontre fortuite et puissante d’émotions contraires, un affrontement sans pitié qui voit la joie de partir à l’aventure s’accrocher à l’envie de rester.
L’adage qui dit que « les aéroports ont vu bien plus de baisers sincères que les églises et les salles de mariage » est la seule chose qui me vient à l’esprit.
Le matin des grands départs
Les yeux encore embrumés, je passe le check-in, et je perds doucement de vue ma seule raison de rester ; Pris dans mes pensées, mon regard se porte maintenant vers l’avion, et vers les deux semaines de trek qui m’attendent.
La première épreuve m’attend : réussir à connecter les vols entre eux, à bien arriver, et à récupérer mon bagage à destination. En effet, le premier avion se pose à Amsterdam à 08 heures 10, me ballotte dans un bus 5 minutes plus tard, et me voit débarquer au Terminal 2 à 08 heures 20 ; Chose intéressante, mon vol suivant termine d’embarquer à 08 heures 30, à l’opposé de là où je viens d’arriver, et l’aéroport d’Amsterdam est bigrement taillé dans la longueur !
Je cours, comme un cinglé sous le regard des anonymes qui croisent ma route, et saute littéralement dans mon taxi volant alors que l’embarquement ferme ; Je dois récupérer mon sac à Stockholm, et au regard de ma course effrénée, je suis dubitatif, mais il arrive effectivement à me suivre par je ne sais quel miracle.
Lulea et son église
3 heures d’attente, un sandwich, et me voilà reparti pour une dernière longueur en direction de Lulea, au Nord de la Suède.
Les conditions climatiques favorables rendent le vol agréable, d’autant que la vue est superbe tout du long. Forêts immenses et grandes étendues d’eau se partagent le territoire.
Une Terra Incognita vraiment accueillante
L’atterrissage est mouvementé, et il se passe un long moment (de doute) avant de pouvoir récupérer enfin mon précieux sac à dos ; L’affaire faite, je sors et prend le premier taxi venu pour me conduire directement à mon hôtel en centre ville.
Je prends rapidement mes quartiers puis sors arpenter un peu les rues, plutôt jolies – sans être exceptionnelles. La météo capricieuse, et ma jambe droite douloureuse m’incitent à rapidement rentrer, peu avant 19 heures, pour me restaurer à l’hôtel, avant de gagner ma chambre.
Dernier jour de réseau téléphonique, j’en profite pour appeler une fois encore ma compagne, même s’il est un peu difficile de parler et plus encore de raccrocher ; J’en avais besoin, et malgré tout, cela m’apaise.
Je suis maintenant prêt à m’engager dans cette traversée.
Bon, j’hésite à reprendre ce bateau ci et à retourner à l’hôtel
Au matin du 19 août, une nouvelle journée de transports se profile ; D’abord un bus, de Lulea à Gallivare, puis un autre jusqu’à Saltoluokta, point de départ du trek.
Le trajet me paraît durer une éternité, avec tout de même 400 kilomètres, après la journée d’avion et avec l’impatience de pouvoir dégourdir mes jambes ! Quelques jolis paysages, et des Rennes peu farouches, ont toutefois apportés un peu de distraction sur la route ; A destination – un simple embarcadère sur le bord de la route – le chauffeur me dépose, et récupère quelques randonneurs qui viennent eux, de terminer.
Pour eux ça descend, pour moi, évidemment, non.
J’embarque sagement sur le bateau qui doit me déposer de l’autre côté du lac, et la traversée, vite expédiée, ne pose aucun soucis ; A terre, je m’imprègne un peu de l’atmosphère, et de cette ambiance un peu particulière qui caractérise les débuts de trek. Par nécessité, je m’approvisionne en gaz et en petits souvenirs dans la boutique ouverte de la Fjällstation (sorte de « refuge gardé » avec pas mal de commodités) et, alors que j’en ressors, il pleut !
Bienvenue, semble me dire la météo locale ! Le départ du sentier, le très populaire Kungsleden, se fait au travers d’étages de forêt particulièrement esthétiques et agréables. Les arbres, sous ces latitudes, sont rachitiques et éparses, et, au plus on monte, au plus vite ils disparaissent.
Au dessus de la maigre forêt, plus rien. Le paysage est nu, peuplé par les pierres, les herbes rases, et par des hectares de buissons à myrtilles.
Synthèse de l’hormèse
Le sac pèse son poids, avec près de 24kg, et mon départ un peu rapide se paye au bout d’une heure de montée. Sur le plateau sommital, le moral est ravivé par le soleil, qui darde ses rayons de manière sporadique ; La scène est magnifique, amplifiée par les contrastes et les couleurs incroyables des nuages qui dansent dans le ciel.
Au plus haut, je bascule maintenant sur le versant qui m’amène à Sitojaure, un grand lac auprès duquel je dresserais la tente ce soir. La vue est saisissante ! Des reliefs, des forêts à perte de vue, et des lacs impressionnants se dressent face à moi.
Eux s’en fichent bien de la météo
Les courbes du paysages étant plutôt douces, la sensation d’immensité est proprement indescriptible. Jamais je n’avais vu pareilles étendues, et aucune photo n’est en mesure de rendre justice à l’échelle des lieux.
Je garde les yeux rivés sur le lointain pendant toute la descente, jusqu’à approcher des rives du lac, et des cabines en bois aménagées, près desquelles je pose la tente. Le temps de manger, de m’organiser, et il est déjà 22 heures 30 lorsque je vais me coucher, totalement épuisé.
Entrée au Sarek
Une succession de hauts et de bas, et de vues spectaculaires
Sur le Kungsleden, difficile de vous perdre
Le lendemain, et malgré la petite pluie de la nuit, j’ai plutôt bien dormi ; La faute à la fatigue cumulée, sans aucun doute.
Dans ma maison de toile au bord du lac, je me réveille doucement, vers 07 heures. L’humidité et la température légèrement positive réveillent également mes « voisins » les moustiques…
Il n’y a pas de vent, ce qui constitue une bonne nouvelle pour moi : le bateau qui fait la liaison sur Sitojaure va pouvoir traverser, et je n’ai pas à patienter plusieurs heures, voir jusqu’au lendemain, pour continuer mon périple.
Un premier aller-retour est fait par le « boss » du bateau, qui emporte avec lui 6 personnes ; J’embarque au second trajet, où nous sommes également 6 à monter sur le zodiac. Décidément, le Kungsleden est populaire, même un peu hors saison, et je suis heureux de n’en faire que deux petites étapes avant d’aller au Sarek, et, espérons-le, quitter la foule et les sentiers trop lisses à mon goût.
Spécialité locale
De l’autre côté, je suis étonné par un couple assez âgé d’Allemands, qui ont également prévus d’aller au Sarek ; Le sac de Monsieur est juste monstrueux, et je serais totalement incapable de porter ça !
Le départ du sentier, sur l’autre rive, reprend les codes de la veille : forêt clairsemée, joli sentier, marécages. Ici, traditionnellement, des poutres en bois sont employées pour traverser les étendues marécageuses ; Au regard de ce qui déroule en dessous, c’est effectivement une nécessité.
De quoi traverser sereinement ces fichus marais
S’en suit une pente abrupte à remonter ; Un vrai challenge avec le sac à dos si chargé, mais bientôt, me voici sur le plateau supérieur, qui, là encore, n’offre que cailloux et désert vert.
Lorsque j’entame la bascule sur le versant opposé, je prends immédiatement une gifle visuelle monumentale : devant mes yeux s’ouvre le Laitaure, immense lac, et embouchure de la vallée de Rapadalen – porte d’entrée du Sarek.
Vers l’infini et au delà ?
Les montagnes s’étirent à l’infini au dessus de ce lac, et au delà de bien d’autres plus grands encore. Stupéfiant, et magique !
Vient le croisement de deux chemins ; Le Kungsleden se poursuit vers le Sud et les cabanes qui marquent la fin de l’étape du jour, et, vers l’Ouest, le sentier remonte en direction de la falaise de Skierfe, et vers le Sarek.
C’est dans cette direction que je poursuis, pour essayer d’établir un camp proche du haut de la falaise, et pour espérer voir et photographier le delta du Rapadalen dont je suis littéralement tombé amoureux, et qui constitue, à lui seul, la raison principale de ce voyage.
Mes pieds sont trempés par les marécages, et la montée s’étire sans fin ; Je me traîne péniblement, et enchaîne antécime sur antécime, sans réussir à m’approcher de ce sommet tant convoité. Je parviendrai, enfin, à son petit plateau intermédiaire situé à une cinquantaine de mètres sous le sommet, après m’être acharné pendant plus d’une heure et demie dans cette montée infernale.
Le « produit fini » … il manque le vent, les heures à empiler les pierres, faire chauffer de l’eau, et à essayer de se réchauffer désespérément.
En hypothermie et exténué, je trouve par hasard un petit replat où poser ma tente, sous un vent violent. A bout de forces, je dois maintenant me résoudre à monter un mur de pierres pour essayer de me protéger.
La tente installée dans la douleur, je me glisse à l’intérieur.
Je suis pris de tremblements épouvantables, le froid me mord, et la fatigue me tourmente. Je grelotte dans mon duvet, après 5 heures de marche, et plus d’une heure passée à essayer de monter mon camp.
En toute fin d’après midi, le ciel s’éclaircit. Je me sens un peu mieux, et décide de tenter ma chance, et d’aller voir au sommet de la falaise si le paysage se dessine ou non.
Sans mon sac, la montée n’est qu’une formalité, et me voici bientôt debout devant un spectacle sans nom.
LA récompense de (presque) tout le voyage !
J’ai une chance inouïe de contempler cela, et je le sais. Je le tiens devant quelque chose d’indescriptible, devant un paysage sans équivalent.
Pendant plus d’une heure, jusqu’à ce que le soleil descende derrière l’horizon, j’admire, et je photographie. Sous mes pieds, l’embouchure de la vallée de Rapadalen s’étale jusqu’à la montagne située face à moi ; A cet endroit, tous les sédiments sont déposés dans les fonds des rivières qui se rejoignent, laissant apparaître un arc en ciel surréaliste dans les eaux tumultueuses.
Des contrastes et des teintes incroyables
De ci de là, des bassins ocres et rouges, et là bas, un bras de rivière turquoise vient strié les champs d’herbes jaunes, qui se mêlent harmonieusement au vert des buissons et à l’orange de quelques arbres qui déjà arborent leurs couleurs automnales.
Toujours cette échelle hors norme, toujours ces horizons d’eau et de roche, de vert et de bleu, qui s’étirent à l’infini par delà la vallée. Et, de l’autre côté, vers l’Ouest, le Sarek.
Le Sarek se prépare à m’accueillir
Vert, humide, contrasté et tourmenté. Un espace que l’on devine vierge, qui se présente sous des couleurs et des lumières hostiles ; Les rideaux de pluie, les nuages noirs dans le lointain, tout cela sonne comme une mise en garde.
D’ailleurs, je suis bientôt rejoins sur mon promontoire par deux Allemands qui en viennent et qui descendent vers les rives du lac ce soir. Ils me disent avoir pris la pluie de manière ininterrompue pendant les huit jours qu’ils ont passés à traverser ! Cela pose l’ambiance, et je me rends compte que j’ai peut être sous estimé l’imperméabilité générale de mes vêtements et de l’intérieur de mon sac…
Trop tard, on verra bien.
Au bord du monde
Après avoir bien profité de ces scènes inoubliables, je m’en redescend à ma tente, pour tenter de préparer le dîner. La galère, puisque mon réchaud mettra presque 25 minutes à bien vouloir démarrer !
J’engloutis mon Aligot mal mélangé, et je ne me fais pas prier pour dormir ; Ce soir, je suis à bout.
Fort heureusement, demain, j’ai prévu une journée courte d’environ 10 kilomètres, pour rejoindre un col d’où la vue me semble encore une fois prometteuse. Nous verrons bien !
« Vis ta vie en couleurs, c’est le secret du bonheur »
Le 21 août, et après une nuit où j’ai pu dormir convenablement, je remonte en direction du col qui me sépare encore du cœur du Sarek. Au delà, je serais livré au bon vouloir de la météo, et il me faudra cheminer plusieurs jours sur de maigres sentiers, faire du hors pistes, et traverser plusieurs rivières à gué.
Je dis au revoir à Skierfe, et bonjour à deux heures trente de hors trace dans les herbes et les pierres, puis à flanc de falaise, jusqu’à atteindre le fameux col où j’avais envisager de rester camper.
Le vent m’en veut, et se lève rapidement et violemment. L’endroit est nu ; Aussi, je tente de faire le tour complet d’un pan de montagne pour trouver où poser la tente, mais le vent forcit et tourne en permanence. Où que je sois, il souffle en plein visage, et ne s’arrête pas !
De l’eau, et des marécages
Pendant deux heures, j’arpente les hauteurs pour trouver un abri, sans succès. Les rafales me bouscule et me font perdre l’équilibre, sans répit. Dans ces conditions, impossible d’envisager de m’arrêter là, et de monter la tente.
Dans l’impasse, je décide de poursuivre ma route sur une douzaine de kilomètres pour tenter d’atteindre le bas de la vallée, plus loin, dans un recoin de forêt où je serais peut-être un peu plus abrité.
La vue est magnifique, malgré le vent perpétuel, et les averses de pluie et de neige, et je croise de très nombreux rennes tout du long ; J’espère en avoir tiré au moins une photo potable !
Les rideaux de pluie tombent plus bas dans la vallée, et m’offrent un spectacle de toute beauté
Après avoir franchi trois rivières sans encombre, la dernière me pose problème ; La fatigue est prégnante, et mes pieds perclus d’ampoules me font souffrir. De plus, l’eau est profonde, et je dois me déchausser et avancer dans un fond très chaotique, glissant, et instable ; De l’autre côté m’attend une pente extrêmement raide que je peine à remonter.
L’effort me semble surhumain, et très vite je suis pris de crampes aux deux cuisses. Pourtant, en haut, je suis stupéfait par la beauté du paysage, et en oublie ces dernières heures particulièrement difficiles.
Sous mes pieds, le soleil, la pluie, les nuages, les rivières, les forêts et les montagnes s’entremêlent dans une peinture sans défaut.
Je pense à ma moitié, j’aimerais tant qu’elle puisse voir ça par elle même ! Les larmes montent.
Il n’y a aucun chemin, et c’est parfait ! Je suis libre de tracer celui qui me semble le plus approprié.
J’avance maintenant vers le bas, en direction de la forêt, et le vent semble perdre doucement en intensité ; Toutefois, les pentes marécageuses dans ces bois étriqués sont encore un obstacle à franchir. J’ai grand mal à trouver un emplacement décent pour m’installer dans cet enfer d’humidité, et je dois encore livrer bataille pour aménager la petite parcelle que j’ai pu trouver.
Le réchaud a moins de mal à fonctionner aujourd’hui ; Aussi, après avoir cherché de l’eau plus bas, et ingurgité thé et lyophilisé, je m’étale de tout mon long dans le duvet, après dix heures d’une marche laborieuse. Je verrais bien demain matin si il m’apparaît nécessaire de prendre une journée de repos ; Après tout, j’ai déjà sauté une journée de repos à Skierfe que j’avais pu planifier pour les photos, et là, je viens de réaliser une double étape.
Un abri comme un autre, mais difficile à trouver.
Le 22 août, je décide de poursuivre plus en avant ; J’ai bien dormi, mieux que ce que j’avais espéré, et je me sens plutôt en forme.
Ce matin, le soleil baigne la vallée… et l’eau inonde les sols marécageux ! Je commence par descendre dans la forêt, très humide, et arrive bientôt dans une impasse. Le bas de la vallée est un immense marécage, entrecoupé de quelque parties boisées.
En 15 minutes, mes deux pieds sont entièrement trempés.
Quand ces deux là sont de la partie, je sais déjà que la journée promet d’être longue.
Seul intérêt, j’ai aperçu très proche de moi un immense Élan, que j’ai d’abord confondu avec un renne. Du coup, je n’ai pas eu le temps de le photographier avant qu’il ne s’enfuie !
Ensuite, pendant 4 heures, je tente de me frayer un passage dans cet environnement peu agréable ; Je perds souvent ma trace, pour la retrouver quelques dizaines de mètres plus loin. Un autre « petit bonheur » réside dans les ampoules que je me traîne aux deux pieds, et en l’absence de pansement type double peau pour soulager les douleurs.
Instantané bucolique
J’ai l’impression de marcher sur des braises ardentes, tandis que devant moi se dresse une petite hutte en bois, du nom de « Hemberger » me semble t’il, du nom en tout cas d’un scientifique venu s’installer ici et étudier cette incroyable vallée.
C’est le point de départ de la montée vers le lac Snavajavrre, mon objectif du jour.
Je me perds encore une fois, immédiatement après le départ, et me retrouve à crapahuter entre les rochers, les rivières, les buissons et les arbres, pour retrouver bien plus loin ce fichu sentier. Mes pieds me font horriblement souffrir, mais j’avance.
C’est bien ça, le « sentier »
Me voici sorti des bois, et le vent commence à se lever ; Devant moi, une traversée de rivière plutôt scabreuse, que je passe précautionneusement, puis une pente abominable sur une centaine de mètres de dénivelé. Je peux littéralement poser les mains devant moi, sur le sol, pour m’équilibrer !
Encore une bonne demi heure de montée, et me voici arrivé au lac, sous un vent de plus en plus puissant ; Il me faut vite monter la tente, avant de me retrouver en grande difficulté. La première mise en place est un échec : je positionne mon abri face au vent, et, à peine terminé, celui-ci tourne à 180 degrés !
Je reprends le montage dans le sens opposé, et peine à trouver quelques pierres pour renforcer les amarrages. L’endroit reste très exposé aux éléments, et il n’y a pas assez de roches pour essayer de dresser un mur de protection.
Dans la montée avant le lac, de belles vues, et des nuages qui doucement se rapprochent
Les premières gouttes tombent alors que je me faufile dans la chambre, et j’essuie maintenant une véritable tempête, pendant laquelle je passe mon temps à tenir l’intérieur de la tente alors que le vent est bien décidé à tout faire plier.
Il réussira, et m’obligera à être inventif pour tenir bon. Je place mes bâtons de marche au sol de chaque côté, à l’intérieur, les redressent en position croisée à l’aplomb de mon couchage, et vient poser en butée les pointes dans deux recoins opposés de la toile supérieure où se trouvent les renforts en tissu des armatures.
Je dois dormir serré sous cette « croix » de bâtons, mais je dois dire que l’astuce fonctionne à merveille et renforce solidement l’armature de la tente.
Vers 21 heures, la pluie et le vent n’ayant de cesse de frapper, je suis un peu inquiet pour l’allumage du réchaud ; Pourtant, à ma grande surprise, il fonctionne parfaitement bien, et je suis tout à fait heureux de pouvoir déguster un thé chaud et de pouvoir manger !
Plus tard en soirée, les éléments ayant décidés de se calmer un petit peu, il est maintenant temps pour moi de me coucher.
Le ventre de la bête
Quelques sentiers, et beaucoup de rivières
Le lac au réveil
Au matin du 23 août, l’agitation de la veille semble avoir entièrement disparue, et tout au dehors laisse entrevoir un peu de calme aux premières heures du jour.
Je ne suis pas seul sur les rives du lac, et une autre tente est posée plus bas, sans doute les deux anglosaxons que j’ai entendu arriver hier soir en pleine tempête.
Peu importe, ils semblent encore endormis.
La journée commence par le contournement du lac, et plusieurs rencontres avec les rennes. Tout au bout, je domine largement la vallée qui s’élance en enfilade devant moi, du haut de mon petit éperon rocheux.
Le mauvais temps s’estompe mais ne veut pas s’en aller
Je distingue trois tentes à environ 2 kilomètres, et en contrebas ; Les chanceux ! Ils ont là l’un des plus beaux spots de camping au monde !
La descente et la traversée sont scabreuses à souhait : les roches sont glissants, la pente est très raide, et tout est détrempé. Une fois passé le « Camping Paradis » je poursuis vers le fond de la vallée qui fait jonction avec Rinim, la dépasse, et poursuis au gré du relief en direction d’une autre vallée située quelques gros kilomètres plus loin.
Ma destination est Sommarbro et son téléphone de secours ; A partir d’ici, à quasi équidistance des deux côtés du Sarek, les difficultés devraient être amoindries, en dehors de la météo évidemment.
Une fois en bas, ce n’est pas bien mieux, mais le soleil tente une percée
D’ailleurs, à ce sujet, le thème aujourd’hui est le soleil, malgré une bonne averse en chemin. Les lumières et les couleurs, encore une fois, sont magnifiques ; Et les contrastes, saisissants.
De hauts sommets enneigés cerclent la vallée, tandis que dans le fond, verdure et rivières se disputent le terrain. Alors que j’entame ma pause déjeuner – à base de nougat et de cacahuètes – deux rennes traversent la rivière que je viens de franchir.
Cela leur semble plus facile qu’à moi
La scène est plutôt jolie, mais un des deux a une patte brisée ; C’est plutôt triste de le voir claudiquer dans l’eau.
Enfin, aux alentours de 15 heures, j’arrive au seul pont de tout le Sarek. A Sommarbro se trouve aussi la hutte qui abrite le téléphone d’urgence… Toujours bon à connaître ! Il s’agit par ailleurs des deux seules constructions humaines dans tout le parc.
En arrivant, je suis encore accueilli par deux rennes peu dérangés par ma présence ; J’ai l’occasion de les photographier, puis m’occupe de monter ma tente avec grand soin.
Un très bel endroit pour se reposer
Derrière, le temps s’est un peu amélioré
Une autre tente est posée sur l’autre rive de la rivière, un peu plus loin. Je ne suis décidément pas seul ! Après avoir croisé une dizaine de personnes sur les sentiers aujourd’hui, et avoir entendu passer proche de ma tente au moins 5 de plus, mes sentiments sur les lieux sont un peu mitigés.
Le « dernier refuge sauvage en Europe » semble finalement assez populaire, même si nous ne sommes plus complètement en haute saison.
Ici, difficile de se retrouver seul au monde, comme beaucoup de randonneurs aiment à le faire croire. Cela n’enlève rien à la beauté du Sarek, ni au relatif isolement qui y règne ; Pas d’infrastructure ou presque, pas de sentier ou presque, pas de réseau téléphonique, et plusieurs jours de marche pour atteindre un côté ou un autre.
Le pont et la cabane de secours de Sommarbro (non visible), seules infrastructures humaines au Sarek
Ce n’est pas un endroit aseptisé, c’est une certitude.
La soirée se déroule agréablement, et une fois nourri, je pars me coucher sans tarder.
Lorsque je me réveille, c’est par une jolie matinée ensoleillée ; Le chemin étant assez facile, c’est un plaisir d’évoluer dans ce décor enchanteur.
Une belle matinée pour marcher
De belles petites rencontres
La vue sur les sommets environnants est superbe. Il s’agit de beaux sommets au caractère presque alpin, avec de jolis glaciers, à seulement quelques centaines de mètres au dessus de ma tête.
C’est étonnant, alors que je n’évolue qu’à environ 1000 mètres d’altitude !
Le sentier est doux, et j’en profite allègrement ; A la pause de midi, je rencontre deux Suédois ayant vécu en Suisse et qui parlent plutôt bien Français. Nous échangeons au cours d’une sympathique discussion, et je leur fait goûter quelques cacahuètes caramélisées, avant que nous ne nous séparions et poursuivions chacun nos chemins respectifs.
Je suis repéré
Je pose ma tente dans un coin peu abrité, et le vent se lève maintenant, comme presque chaque fin d’après-midi. Je lutte un peu, mais parvient à m’installer, et, une fois dedans, j’essuie une belle averse et de grosses rafales de vent.
La tente plie, avant de s’effondrer en son centre ; Je remets les choses en place, puis installe mes bâtons en croix contre le demi arceau central, ce qui a pour effet de solidifier complètement mon installation.
Je ferais la « sieste » jusqu’aux alentours de 22 heures, avant de préparer mon thé et mon repas, et d’aller rapidement rejoindre le pays des rêves.
Camping de luxe, mais un peu exposé aux éléments
Le 25 août, le Nijak et le massif de l’Akka m’accueillent dans toute leur blancheur, tandis que dans le ciel, l’ambiance est au mélange de gris et de bleu. Pour aujourd’hui, je vais essayer de réaliser une journée courte, d’une quinzaine de kilomètres, jusqu’aux cabanes de Gisuris.
Tout au long du chemin, j’ai de nouveau les pieds trempés par ces saletés de marécages. Ils auront vraiment été mon nemesis pendant ces 6 derniers jours ! Je sens maintenant que le plus petit orteil de mon pied droit me fait souffrir, et comme ce n’est pas la partie que j’ai pu déjà soigner, je crains le pire.
La journée avait pourtant bien commencée
La sortie du Sarek (l’entrée, pour beaucoup de trekkeurs)
Vers 12 heures, alors que je cherche un peu de réseau sur les hauteurs (sans succès) il se met à pleuvoir ; D’abord quelques gouttes, puis, rapidement, une averse continue.
Je franchis un pont, et me retrouve maintenant sur le Padjelanta, un sentier de grande randonnée balisé et bien connu, qui court plus ou moins parallèle au Kungsleden mais séparé par le parc du Sarek.
Je crois que le soleil a décidé de ne pas rester…
Après environ 3 ou 4 kilomètres, je me rend compte que je ne suis pas du tout dans la bonne direction ! Je suis remonté vers le Nord, alors que je devais partir au Sud !
Demi tour, et me voilà reparti dans le bon sens. Vers 14 heures, je me pose dans le refuge d’hiver de Gisuris avec 4 suédois, et nous mangeons au sec ; Je prends aussi le temps de contrôler mes pieds, et effectivement, une vilaine ampoule s’est greffée derrière mon doigt de pied, et son voisin présente aussi une belle rougeur.
Lorsque je repars, à environ 1 kilomètre de mon arrêt, je croise un couple de Français qui m’indiquent que plus loin, il n’y a plus d’abri, seulement un village Sami à quelques kilomètres. J’avise un moment, mais, trempé comme je suis, et ne trouvant pas vraiment de terrain propice à la tente sur l’instant, je me dis qu’il vaut mieux que je tente l’hébergement à Gisuris, au sec et dans les dortoirs.
Je regrette déjà ma tente, mais pour aujourd’hui, je suis rincé, et le refuge de Gisuris sera un arrêt pertinent
Demi tour (encore une fois) et retour à Gisuris où je loge avec un chouette couple de suédois dont ce n’est pas le premier Padjelanta. Le gardien du refuge, quant à lui, parle bien le français, et s’est déjà rendu à Ingwiller, Strasbourg ou encore Haguenau ! Improbable et pourtant !
A 19 heures, il continue à pleuvoir des cordes au dehors, et, entre mon pied et la météo, je suis convaincu d’avoir fait le bon choix, même si je crains vraiment l’étape de 26 kilomètres du lendemain.
Sur le Padjelanta
Retour sur les sentiers balisés, en direction de la Norvège
La danse des nuages et des lumières n’en fini pas de m’émerveiller
La nuit en dortoir n’a pas été très bonne, forcément ; Un vrai lit est certes un confort, mais ça n’occulte pas les ronflements et le bruit ambiant, choses auxquelles je ne suis plus vraiment habitué.
Le réveil de mes voisins sonne à 06 heures, et ça me va parfaitement bien, d’autant que dehors, le temps semble être revenu à la normale. Mon sac est vite prêt, et mon petit déjeuner vite englouti ; Les premiers pas sont concluants, il semble que j’ai bien moins mal aux pieds après ma petite « révision » d’hier soir.
Une longue ligne droite
Après une heure, j’arrive à un petit village Sami sur les berges du fleuve. Ce grand cours d’eau sera mon guide et ma main courante pour les 13 prochains kilomètres, jusqu’à atteindre un grand pont qui va me permettre de le franchir.
A partir de là, le chemin sera principalement en pente ascendante, avec quelques replats salvateurs. Tout en haut, la vue est dégagée ; Je contemple un immense lac qui s’étend jusqu’aux montagnes de Norvège, dans le lointain, c’est, encore une fois, saisissant !
Si jamais une maison est à vendre… ça peut m’intéresser !
Une nouvelle montée m’attend
Un peu plus loin, je fais la connaissance d’une Suédoise d’un certain âge, à l’anglais parfait, et aux pieds vifs. Nous faisons route et discutons pendant près d’une heure ; Ses paroles sont d’une grande sagesse et elle a le goût des mots mûrement réfléchis, pleins de bon sens. C’est un très beau moment en tout cas !
A hauteur des cabanes, nous nous disons au revoir, et je vais franchir un autre pont pour pouvoir m’installer sur l’autre rive de la rivière.
Je crois bien qu’il a neigé dans le Sarek en mon absence !
Ils n’ont pas l’air de trop se soucier de la météo
Il est encore assez tôt lorsque je monte la tente, et, une fois n’est pas coutume, à peine dressée, il pleut.
Ce sera donc l’heure de la sieste !
Lorsque je me décide enfin à me lever, il est quasiment 19 heures, et le soleil brille dans un ciel sans nuage, d’un bleu parfait. La lumière est magnifique, et j’en profite pour faire un brin de toilette, et surtout, pour savourer mon thé et manger face au soleil couchant, assis dehors.
C’est un plaisir simple, mais oh combien essentiel, d’autant que je n’avais encore jamais profité de conditions réellement clémentes pendant ce voyage pour ce qui concerne les repas du soir.
Une fois de retour dans mon antre, comme chaque soir le même rituel : je dispose mes affaires pour faciliter leur rangement demain, je me faufile dans mon duvet que je ne ferme pas complètement, et je me saisis de mon petit carnet dans lequel je dépose ces quelques lignes.
La nuit s’annonce particulièrement froide !
Un endroit paradisiaque
Juste prémonition, puisque je me serais réveillé un grand nombre de fois dans la nuit à cause du froid mordant, et mon sac de couchage a l’air d’avoir pris un sacré coup à cause de l’humidité ; Il ne me permet plus d’avoir chaud en dessous de 0 degrés, même habillé.
A 7 heures 40, alors que j’entame ma journée de marche, il pleut déjà. Pas en grande quantité, mais il pleut, et ça affecte mon moral.
Si la première grosse montée de 4 kilomètres est expédiée en moins d’une heure, il n’en sera pas de même le reste de la journée. En effet – et j’en ai maintenant l’habitude – je vais enchaîner montées et descentes à un rythme saccadé, dans des terrains variés, et m’épuiser de long en large sur ces sentiers interminables.
Poésie d’ombres et de lumières
A 11 heures, je suis arrivé à Arasluokta ; Je pourrais m’y arrêter, et j’en ai très envie tellement la fatigue physique est présente, mais je me décide à poursuivre jusqu’à Staloluokta, soit une étape de 25 kilomètres, que je réalise dans un état d’usure poussé.
La montée qui suit immédiatement Arasluokta est longue, trop longue ; Mais en haut se découvre le somptueux lac de Virihaure, grand de 108 kilomètres carrés.
Démesuré !
Ici aussi, je veux bien y vivre !
Constructions esthétiques
Il est encerclé par les montagnes de Norvège, et semble s’étendre à l’infini.
A Staloluokta, je dépasse les habitations pour partir m’installer juste au dessus du lac ; A l’Est de ma tente se dressent les sommets très enneigés du Sarek, que je viens juste de quitter, et à l’Ouest, le Virihaure et la Norvège.
Il n’y a maintenant plus un seul nuage dans le ciel, et je profite d’un sublime coucher de soleil sur le lac ; Instant magique, hors du temps, et gravé à tout jamais dans ma mémoire (et sur une ou deux photographies) !
La soirée n’est « pas trop mauvaise »
Les lumières s’éteignent sur les sommets du Sarek.
Le 28 août, après une nouvelle nuit de froid pendant laquelle j’ai tout de même réussi à trouver le sommeil, je m’offre le luxe de la grasse matinée jusqu’à 08 heures. Je n’ai pour ainsi dire que 11 kilomètres à parcourir aujourd’hui, et il s’agit donc d’une fantaisie que je peux largement m’autoriser.
La première heure de marche est très agréable, et le terrain, plutôt facile. Je sillonne des vallons très verts, bordés de rivières et d’arbres ; Un décor idyllique.
Un beau trajet m’attend aujourd’hui
Alors que je viens de franchir un pont et m’octroie une pause, un renne fort curieux vient à ma rencontre depuis le lit de la rivière, à environ 600 mètres de ma position. Il s’approche jusqu’à se tenir à moins de 10 mètres de moi, et reste à me regarder un long moment avant de faire demi tour et de repartir tranquillement dans un vallon voisin où ses congénères se repaissent d’herbes et de buissons.
En contrebas, l’eau de la rivière forme une jolie piscine toute ronde, dans laquelle je rêve de me jeter… Je n’en fais rien, la température de l’eau m’en dissuade immédiatement !
Curiosité animale
Un décor très esthétique
Le reste du chemin va se dérouler en « arc de cercle » et, en conséquence, la vue est souvent bouchée par le relief. Toutefois, le sentier reste agréable. Comme l’indiquent de nombreux panneaux sur le Padjelanta, nous sommes en « High Country » – traduction du Sami, Padjelanta.
Depuis presque le tout début, j’ai l’impression d’évoluer dans les décors du Seigneur des Anneaux ! Vraiment, cette comparaison me reste en tête en permanence.
Les terres du Rohan, les colline de la Comté, parfois ; Les nuages noirs du Mordor, souvent !
Une invitation à contempler
Cette nuit, je m’installe une nouvelle fois dans une cabane en dur au bord du chemin. Le gardien est très sympathique, et part bientôt à Paris pour étudier la psychologie ; J’ai également une « coloc » ce soir, également de bonne compagnie, avec qui je converse en anglais pendant un très long moment.
En allant dormir, je pense déjà aux 16 kilomètres qui m’attendent demain, et m’approchent rapidement de l’issue de ce voyage.
Lorsque le jour se lève – et moi avec – le temps est maussade, menaçant même. Le vent est déjà omniprésent, et les masses de nuages gris dans le ciel font bloc.
Il n’y a pas que moi qui suis rincé, mes chaussures le sont également
Malgré un manque d’énergie flagrant, la montée vers le lac, situé à 5 kilomètres de ma position, se déroule bien ; En revanche, une fois le lac atteint, il me faut en faire le tour par son côté gauche, et les marécages s’invitent rapidement à la fête.
Les pieds trempés, j’avance péniblement, m’enfonce, glisse sur les pierres. C’est exténuant, et longer cette grande étendue d’eau me prend un temps fou et consomme toutes mes forces.
De l’autre côté, il me faut encore traverser une grande rivière ; Toutefois, j’entre aperçois un panneau presque effacé qui semble indiquer un pont en amont. Aussi je m’engage sur les pentes raides légèrement marquées par une trace, qui semble indiquer le bon chemin.
Le style indémodable de la « traversée de rivière sauvage »
Et effectivement, je trouve un pont ! Enfin, ce qu’il en reste.
C’est un pont de singe, en partie effondré, constitué de deux câbles en acier suspendus au dessus d’une gorge rocheuse très encaissée où l’eau se déchaîne. Quelques résidus de planches pourries subsistent, parfois arrachées d’un des deux câbles et pendouillant lamentablement de l’autre côté ; Une main courante constituée de deux câbles identiques est fixée à hauteur des épaules.
Je ne réfléchis pas vraiment avant de m’y engager ; De tout manière, le moindre instant de réflexion m’aurait empêché de décemment emprunter ce passage bien trop dangereux… Je dois marcher 15 mètres sur deux filins en acier fixés à je-ne-sais-quoi, sans pouvoir me rattraper sur les planches en cas de raté, avec mon sac imposant, ma fatigue, et mon manque de lucidité.
Tous les ponts ne ressemblent pas à ça, et celui que je franchis aujourd’hui est particulièrement scabreux
En dessous, 20 mètres et c’est le tumulte des eaux bouillonnantes. Si je chute, un rocher va nécessairement m’accueillir, puis, inévitablement, ce sera la noyade.
« Si tu tombes, c’est la chute ; Si tu chutes, c’est la tombe ».
Pourtant je passe, vite, souple, sans encombre. Tout tient, mais c’est vraiment limite.
Plus loin, je longe un second lac, plus petit que le précédent, et qui, une fois dépassé, me dévoile sur sa rive les cabanes de Sorjuhytta, en Norvège… me voilà tout proche de la fin.
J’y serais le seul pensionnaire pour la nuit, en dehors des 4 volontaires de l’association qui gèrent ce refuge, et qui travaillent à mon arrivée à la peinture des bâtiments.
De belles et utiles constructions, même si l’isolement sous la tente au Sarek me manque déjà
5 autres refuges dépendent de ce même club, à Sulitjelma, et tous sont fermés à clef et non gardés ; Je n’ai pas de clef, et je suis donc bien content de me voir inviter à entrer ici, d’autant que la météo menace et que le vent commence maintenant à se muer en tempête.
L’intérieur a un caché rustique, mais est très accueillant. Beaucoup de bois brut, des décorations très simples et naturelles, un coin canapé / bibliothèque, un foyer, et quelques espaces pour dormir.
Le soir venu, je suis attablé avec les 4 volontaires qui m’ont fait entré, dont un ancien et sa femme ; Lui parle Français, et était d’ailleurs professeur de langue dans un école de Norvège. C’est une très bonne soirée, nourrie de discussions intéressantes et vivantes, et agrémentée de Cognac offert généreusement par mes hôtes !
J’apprends tout de même que pour le lendemain, une tempête violente est annoncée dès le lever du jour, avec des vents puissants et de la pluie dès 7 heures du matin. La prévision semble plutôt fiable d’après mon interlocuteur, et eux resteront abrités ici jusqu’au jour d’après ; Une mise en garde, qui me fait me décider pour un départ très matinal, histoire de passer rapidement le col situé immédiatement après le refuge. Après ce passage, le sentier restera technique et piégeux pendant près de 4 heures, jusqu’aux prochaines cabanes, à Sulitjelma.
Je vais me coucher l’esprit serein, dans la petite alcôve située sous le toit et donnant directement sur la salle commune. Un dortoir 1 personne grand luxe, avec sa petite lucarne vers le dehors, et la chaleur du feu qui remonte jusqu’ici.
Demain, ce sera mon dernier jour sur les sentiers de Laponie ; Quelle meilleure soirée pour clore ce beau voyage !
Dernières heures
Dernières confrontations avec la nature, et doux chemin de la maison
La Norvège est arrivée jusqu’à moi ; A moins que ce ne soit l’inverse
Ainsi, le 30 août, me voici réveillé aux aurores. Le vent m’a empêché de dormir, et j’ai passé un long moment à surveiller l’évolution des nuages noirs qui se formaient au delà de ma petite lucarne.
Après un petit déjeuner express, dès 6 heures 30 j’entame la montée technique vers le col. Moraine, pierriers glissants, puis deux grandes portions pentues en neige et en glace vive, le tout sous un vent déjà très puissant.
Arrivé au col, en 45 minutes au lieu de 1 heure 30 prévu, il pleut à l’horizontale. La tempête est là, et je prends plein tarif !
Je me souviens qu’il va me falloir encore quasiment 4 heures pour trouver le prochain bâtiment, abri potentiellement salvateur. Aussi, j’essaye, malgré le terrain glissant et délicat, de maintenir un rythme très soutenu ; De toute manière je suis déjà trempé jusqu’aux os, et mes pieds baignent dans les chaussures.
Pas d’illustrations de cette dernière journée de marche, la météo de forcené m’empêchant de faire la moindre tentative photographique !
La succession de montées et descentes qui me sépare de mon point d’arrivée m’éprouve au plus haut point ; Je devrais ralentir, j’ai envie de m’arrêter, de hurler après cette météo pourrie qui me place en hypothermie en quelques instants. Mes jambes sont douloureuses, mes pieds, ouverts ; Chaque muscle de mon corps m’en veut et me le fais savoir, pourtant, je continue, avec toujours plus d’acharnement.
Mes bâtons frappent le sol en cadence, et mon souffle est rapide et régulier ; Je maintiens un minimum de chaleur, du moins, je l’espère. Et quand vient l’heure de franchir une autre rivière, très large mais peu profonde, je ne ralentis pas, je ne me déchausse pas.
L’eau remplie mes chaussures, jusqu’à en déborder par vagues, mais j’avance.
2 heures 30 depuis le col, et je suis au refuge ; Je n’en reviens pas. A la louche, ça représente une marche forcée à près de 7km/h de moyenne, sur ce terrain terriblement cassant et par des conditions monstrueuses.
A Sulitjelma se trouve une classe en sortie scolaire, très étonnée de me voir débouler par ce temps. Je suis invité à me mettre au chaud, et je ne refuse pas.
Cela me donne l’occasion d’allumer le téléphone, d’accrocher du réseau et de donner des nouvelles. J’ai 4 jours d’avance sur le planning initial ! Je vérifie rapidement vols et hôtels, et me dit qu’au vu du coût de la vie en Norvège, 4 jours sur place vont me coûter bien plus qu’un retour anticipé.
Je repars tout de même assez rapidement en direction du village situé bien plus bas, à environ 5 kilomètres. Je marche sur une ancienne route minière, peu passionnante, mais qui a le mérite de me faire avancer vite et de manière moins douloureuse pour mes pieds que le sentier qui a précédé.
J’aurais emprunté le Kungsleden, traversé le Sarek, continué sur le Padjelanta, et terminé sur le Nordkalottleden – le sentier du cap nord. Belle bambée !
A 10 heures 30, je suis dans mon petit arrêt de bus, où je vais devoir patienter 4 heures durant pour enfin voir arriver mon transport ; Évidemment, il pleut toujours. Avec le peu de batterie de mon téléphone, j’arrive à réserver un vol pour Bruxelles demain, et un train pour Strasbourg… C’est officiel, je rentre demain !
Le temps s’égrène incroyablement lentement dans ma petite cahute de bois, mais tout a une fin, et le bus fini par arriver.
La vallée de Sulitjelma est très verdoyante, couverte d’arbres et de rivières, et sillonne au milieu de pentes abruptes. Le conducteur m’indique qu’il y a 20 ans, en raison de l’exploitation minière, il n’y avait encore aucune parcelle de verdure dans le décor.
Après un bref arrêt, me voici dans le bus pour Bodo, et là encore, sur la route, le paysage est saisissant. Les contrastes entre pluie et soleil, les lacs, les montagnes alentours et lointaines, et enfin, au delà de la mer, les Lofoten qui se découpent sous les nuages noirs ; Magique !
Le chauffeur me dépose tout prêt de mon hôtel, petit et spartiate, surtout pour 70€ sans petit déjeuner. Mais l’endroit est calme, et bien situé ; Demain, il me faudra gagner l’aéroport de bon matin, au terme de 30 minutes de marche.
Sacré chantier que cette aventure !
En attendant, je vais faire un dernier saut jusqu’au centre commercial. Dans un pub fort joli et accueillant, je déguste une bière et un burger parfaitement mérités ! La bière est bonne, le burger aussi, et la musique ainsi que l’ambiance country / rock me donnent envie de m’éterniser.
La raison reprenant le dessus, il est temps de rentrer à ma chambrée pour du repos et une micro lessive absolument nécessaire, ainsi qu’une douche totalement indispensable.
Un dernier coup de fil à ma moitié, quelques mots échangés, et il est déjà temps de dormir.
Le Grand Nord s’efface doucement sous la couette ; La rudesse des paysages et de la météo, le gigantisme des lieux, les vents tempétueux, et les sentiers infinis, tout ça va me manquer, je le sais. Le confort de l’hôtel, puis de la maison, est un luxe fantastique et appréciable ; Mais je sais tout le bonheur que m’apporte la confrontation aux éléments et à moi même lors de voyages de cet acabit, et je sais en avoir un irrépressible besoin.
Un autre lac, un autre jour, sur un autre sentier
La marche vers l’aéroport, l’avion, le train, puis les retrouvailles avec celle qui partage ma vie ; Le retour au quotidien, loin du tumulte des eaux et du bruit du vent qui semblaient vouloir déchirer ma tente.
J’aime autant ces instants de retour que ceux qui précèdent un grand départ.
Alors que mes pieds foulent seulement le seuil de mon appartement, mon âme ressent déjà le bonheur, l’envie et la nécessité de partir à nouveau.