Introduction

« Certes, un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c’est déjà un voyage » – Marek Halter

Après mes cinq premières années de « vie active » ou en tout cas de vie professionnelle, me voici maintenant sur le départ, en ce début d’été 2011. Je quitte les Alpes, et m’en retourne vers des contrées plus proches de mes racines ; Je quitte aussi des camarades de travail devenus des amis au fil des années.

Parmi eux, il y a notamment Dominique. Dom, c’est un peu la mémoire vivante de notre petite station de ski, à l’esprit vif, et aux grands yeux pétillants et malicieux couleur bleu acier ; Deux billes profondes, qui dansent sur son visage rieur aux traits délicatement burinés.

Il porte la sagesse du temps qui passe, et un cœur nourri par autant de grandes expériences que de dures leçons de vie ; Il a aussi et surtout une passion débordante pour les voyages, les aventures, les découvertes et les rencontres. Il collecte d’ailleurs, au fil de ses pérégrinations, quantité de photographies et autant de souvenirs et de rencontres indélébiles, dont il nous fait régulièrement profiter au bureau.

Des confins de l’Afrique à l’exotisme des pays d’Asie, des parcs d’Amérique du Sud aux villes Européennes, il parcourt le globe à la recherche de ce qui enrichit chaque année un peu plus son âme, sans jamais être pleinement rassasié. Au delà des mots avec lesquels il jongle si bien, Dom nous fait aussi partager ses instantanés qui illustrent parfaitement ses sublimes voyages.


Des images toutes très belles, mais surtout chargée d’un petit je-ne-sais-quoi qui vient à les rendre uniques, et marquantes.

Il ne photographie pas avec ses yeux, mais avec son cœur !

Ses portraits sont vivants, brûlants, et ils racontent tous une histoire ; Les lieux qu’il traverse impriment leurs odeurs et leurs bruits sur la pellicule, et prennent vie sous le regard de celui qui les découvre pour la première fois.

Je peux certifier avoir toujours eu un attrait pour la photographie, et aussi pour le voyage ; Je n’ai pourtant pratiqué ni l’un, ni l’autre. Plus jeune, et jusqu’alors, les clichés que je pouvais apprécier dans les revues et les magasines – et plus tard sur internet – avaient probablement en commun d’être tous très travaillés, très « pro » et sans défaut, et de montrer des endroits de notre planète tous plus exotiques les uns que les autres.


Je me suis finalement rendu compte, au contact de mon collègue et ami, que ce que j’aimais par dessus tout avec ces images, c’était le rêve fou qu’elles inspiraient. Le rêve d’aventure, de voyage, de découverte, l’envie de pratiquer un nouveau sport, de partir à la conquête de montagnes, de marcher sur des terres inconnues, de voler, de naviguer.

Très casanier, et malgré un appétit immodéré pour l’extérieur, je n’avais pas eu la chance dans ma jeunesse de pouvoir voyager. Mes parents n’en avaient ni le temps, ni les moyens, tout simplement ; Aussi, cette envie d’ailleurs et ces fantasmes d’une vie d’aventure sont restés profondément enfouis sous une couche de renoncement et d’acceptation. Je me disais « ce n’est pas grave, ce n’est pas important, pas tant que ça ; Je peux faire sans, je vais d’abord travailler, puis on verra ».

« On verra » n’a rien vu, pendant presque cinq années. Mais mes formidables collègues m’ont doucement initié à l’Alpinisme, puis j’ai repris un peu l’escalade, commencé quelques randonnées plus verticales, et découvert ce milieu si particulier qu’est la montagne. J’ai « vu » que je pouvais faire quelque chose de mes dix doigts, et que certaines de mes envies refoulées pouvaient alors être satisfaites, par les rencontres, par l’apprentissage, mais aussi et surtout par ma propre volonté.

Ainsi se dessinait furtivement le contour de la personne que j’aspirais à devenir, de celui que je suis finalement devenu. Les expériences alpines ont développé mon amour des reliefs, ma curiosité, mes aptitudes physiques et mentales ; Tandis que les voyages de Dom, ses écrits et ses photos, ont révélé mon irrépressible besoin de découvrir par moi même toutes ces destinations qui me semblaient jusqu’à présent interdites ou inaccessibles.

Grâce à mes amis, j’ai franchi le pas d’une nouvelle période de mon existence, qui allait me conduire – et j’en étais désormais certain – aux confins de mes rêves les plus fous. J’en suis conscient, et j’éprouve une infinie gratitude à leur égard !

« Certes, un rêve de beignet, c’est un rêve, pas un beignet. Mais un rêve de voyage, c’est déjà un voyage ». Marek Halter.

Je reçois cette jolie citation de Dom à la fin de cette année 2011, et dix années plus tard, je m’en souviens parfaitement. En deux coups de cuillère à pot, nous convenons de nous embarquer à deux pour une itinérance de 4 semaines, au Népal, à la mi mars de l’année à venir.


Mon envie de voyage est réveillée, je ne peux pas la contenir ; Et mon binôme en profite pour suggérer le Solukhumbu, terre des Sherpas, pays de la Déesse Mère. Je valide, et, les billets d’avion en poche, je m’équipe. Je réalise rapidement que pour un premier voyage loin de chez moi, et malgré le confort des guest house qui peuplent notre itinéraire, ma zone de confort va rapidement être mise à l’épreuve.

Je n’ai jamais marché ne serait-ce que deux jours d’affilée en randonnée. A VTT, oui, je peux enchaîner plusieurs longues journées, mais je trouve tout de même que la différence d’activité va certainement laisser des traces, et que l’environnement, le dénivelé et l’altitude risquent de me mettre rapidement à mal.

Tant pis, j’en ai réellement envie, et je ne veux plus attendre. De toute façon les billets d’avion ne sont pas remboursables !

Il nous faut partir d’ici peu, et malgré une nécessaire appréhension, j’ai hâte de voir ces montagnes de mes propres yeux !

Kathmandu

« Ce n’est pas le paysage qui est petit ; C’est la fenêtre par laquelle on le regarde »

Après un vol sans encombre, et plutôt agréable, nous voilà enfin en approche de Kathmandu ce 23 mars 2012. Le temps de la descente vers l’aéroport, nous avons pu admirer les immensités de la chaîne Himalayenne, quel choc visuel !

Le plaisir des yeux est certain ; Des plaines aux montagnes, des villes aux petits villages, tout semble incroyablement différent ici, et la seule vue de ce pays qui jusqu’alors m’était totalement inconnu me fascine et me captive.

Nous n’avons pas même atterris que j’ai déjà les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte devant ce spectacle éblouissant. J’attendais avec une impatience à peine dissimulée cette rencontre avec l’ailleurs, et j’appréhendais le schisme culturel que m’imposerait le Népal dès mon arrivée sur ses Hautes Terres.

S’agissant de mon premier voyage hors sol Européen, je mentirais en disant que les dernières circonvolutions de l’appareil au dessus du tarmac ne m’ont pas rapidement émerveillé, tout autant que stressé. Nous y sommes, enfin, et je ne peux plus « reculer » devant les quatre semaines que nous avons prévus de passer en montagne.

 

Mais avant d’envisager les plus hautes sphères terrestres, un programme plus prosaïque nous attend : récupérer nos bagages, un taxi, et trouver un petit coin d’hôtel. Les bagages sont là, jetés sans ménagement en bas du tapis roulant, puis le taxi nous trouve, sans doute n’avons nous pas passé 10 secondes que nous avons déjà réglé nos 650Rs réglementaires, et que le petit véhicule s’ébroue sur le goudron de l’aéroport.

La suite est pour moi d’une violence rare. Nous nous dirigeons depuis l’extérieur de la ville vers son épicentre, pour gagner « Freak Street » (un ancien haut lieu de la population Hippie, réminiscence du passé – pas si lointain – où Kathmandu planait au sommet de la babacoolitude) et nous y loger.

Le véhicule semble animé d’une volonté guerrière, malgré le calme du chauffeur ; Les coups de volant ordonnent aux semblables gabarits de céder la priorité, tandis qu’ils sauvent la frêle coque (et ses passagers) des zigzags improvisés de camions et de bus d’un autre âge. La circulation ici est dense, totalement anarchique, sans foi ni loi ou presque ; L’ordre de priorité sur la route n’est défini que par la taille du véhicule, et l’acharnement de son pilote. Les deux roues motorisés n’ont pas vraiment droit de citer, et les cycles ne doivent leur survie qu’à – sans doute – des éléments divins invisibles au voyageur néophyte.

Les routes ne sont que des chemins irréguliers, poussiéreux, aux cratères béants ; Les bâtiments, des amoncellements de briques rouges à l’équilibre précaire. Kathmandu est faite de bruits assourdissants, de rues grouillantes de vies et de véhicules, d’une chape de pollution permanente et des odeurs mêlées des égouts et des épices, des carburants et des restaurants ; La ville est de prime abord une agression permanente, en tout cas, je la ressens comme ça.

Après ce premier contact plutôt sauvage, nous voilà déposés dans le quartier de Freak Street. Nous envisagions de loger à l’Annapurna Guest House, mais l’établissement, complet, nous oblige à nous rabattre sur l’Asian Guest House, non loin de là. A 400Rs à deux, nous nous satisfaisons d’une chambre totalement insalubre, et de douches pires encore ; Nous y laissons nos affaires, et sortons prendre l’air – vicié – et nous restaurer.

Grand luxe, nous nous offrons le Revolving Restaurant, sur les toits de Basantapur, dont la particularité, comme son nom anglophone le suggère, est d’avoir une salle tournant à 360 degrés pour profiter de la modeste vue ; A un peu plus de 900 roupies la vue et le repas, très correct au demeurant, nous repartons l’estomac contenté en quête d’un cybercafé où nous connecter rapidement pour donner quelques nouvelles de notre arrivée.

En repartant, peu après 22 heures, nous passons la porte de cet espace de divertissement connecté « old school » et faisons retour à la guest house, où nous trouvons… porte close !

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Il nous faudra dialoguer et négocier un peu pour se voir ouvrir les portes du palace du sommeil, mais à force de persuasion, nos hôtes nous laissent entrer ; Et après une brève et tardive causerie, nous partons en quête d’un repos salvateur.

Étonnamment, la nuit fut plutôt bonne. Nous ne pouvons en dire autant du réveil, puisque c’est au son d’une orgie entre pigeons, à 5 heures, que notre journée commence ! Ces turbulents volatiles naviguent à nos fenêtres, puis plongent dans la cour intérieure de l’immeuble d’où des voix nous parviennent.

Une dame d’un âge avancé y passe le balais, et s’affaire à un autel à offrandes que nous devinons depuis l’étage ; Un psalmodiement constant nous parvient distinctement, je l’enregistre au gré des répétitions.

Le soleil est maintenant levé, les habitants aussi ; Aussi nous profitons de la lueur du jour pour nous extirper rapidement de notre établissement, et allons parcourir rues et ruelles de la ville, appareil photo en bandoulière. La ville est toujours aussi déstabilisante, sale et bruyante, tortueuse et presque hostile.

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Pourtant, dans tout ce chaos, quelque chose de plus marquant se dessine à mon regard : la beauté intemporelle des lieux couplée au sourire gravé sur le visage d’un grand nombre d’habitants. Au début, j’ai trouvé cela surréaliste ; La pauvreté extrême qui gangrène la vie au Népal, la rudesse des saisons et de l’environnement, urbain ou non, sont autant de raisons valables d’ôter son sourire au plus joyeux de nos concitoyens, moyennant ne serait-ce qu’un mois de cette vie là !

Et pourtant, les Népalais sourient, souvent ! Ils sourient même avec leurs yeux, si expressifs, si profonds ! Il m’est proprement inimaginable de voir se déployer tant de bonheur face à tant de misère. Je découvre là une autre facette de ce pays : ses contrastes.

Le Népal est une terre de contrastes, c’est un fait indiscutable. Le Téraï émerge à une altitude de 60 mètres, tandis que Chomolungma (que vous connaissez sans doute sous le nom d’Everest) culmine à 8849 mètres. Les rizières côtoient les plus hauts sommets du monde, le climat subtropical du Sud s’oppose aux glaces immortelles au Nord, et la misère se combat dans la joie et la prière. Il existe une infinité de ces contrastes saisissants, et tout autant d’exemples.

Mais revenons un instant à notre chaude journée dans les rues de la tentaculaire capitale Népalaise. Le but premier, outre la découverte, est de gagner le très touristique quartier de Thamel, et d’obtenir un précieux sésame : un vol pour Lukla, la porte d’entrée du Khumbu. Un autre indispensable de la journée consistera à rejoindre les locaux du Ministère du Tourisme pour obtenir notre carte « TIMS » essentielle au trek que nous envisageons.

Pour les deux objectifs du jour, le contrat est rapidement honoré, et nous pouvons profiter de la ville sous une chaleur déjà prégnante. Le dédale de rues possède un charme certain et cache des trésors d’architecture. Ici un temple adossé à une boutique souvenirs, là un Stupa qui orne une place, et puis un autel au pied d’un transformateur électrique.

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Au regard de l’électricité justement, la ville subit de nombreuses coupures. Les besoins croissants des habitants et les infrastructures vieillissantes ne font pas bon ménage. En regardant les nœuds si aléatoires, les raccordements improbables et les coffrets de bric et de broc, il ne faut de toute manière pas s’attendre à un réseau fiable.

Pour ce qui concerne cette fois l’alimentation en énergie de nos corps, nous partons à la chasse aux saveurs à proximité de notre « Hilton Resort low cost » ; Les simili croissants du matin laissent la place aux délicieux momo vapeur du midi, et rassasiés, nous parcourons Thamel en quête de quelques objets utiles pour nos semaines à venir, mais également de quelques souvenirs et babioles.

Demain matin, nous nous envolerons pour Lukla, et entamerons notre longue marche dans les immenses vallées du Khumbu.­

Premiers pas en Himalaya

« Voir une seule fois vaut mieux que d’entendre cent fois. »

L’envol vers les montagnes

Le réveil de 05 heures 30 laisse les yeux embués, et les paupières collées. Nous déposons nos petits sacs d’appoint à la tenancière de l’Asian Guest House, où nous laissons donc quelques affaires de rechange et ce qui ne nous servira pas pendant les trois prochaines semaines.

Le taxi nous attend au dehors pour nous transporter jusqu’à l’aéroport ; Là bas, nous nous acquittons des 200 Rs de la « taxe de départ » avant de passer dans le hall des départs où commence une longue attente. Nous avons confirmation du beau temps à Lukla, et c’est déjà une bonne nouvelle puisque le vol se fera très certainement.

Au dehors, un petit bi-moteurs d’un autre âge – un McDonnel Douglas – vient nous cueillir pour ce qui s’annonce être un vol mémorable d’environ 45 minutes. Les sacs sont rapidement chargés, les passagers aussi. A côté de mon siège, la trappe d’accès au moteur en cas de départ incendie ; Je note immédiatement qu’elle est scellée, et j’espère donc qu’aucun nuage de fumée ne vienne à s’en échapper pendant l’heure qui arrive.

L’intérieur est vétuste, et la présence de l’hôtesse de l’air est une énième bizarrerie au milieu de nos rangées de sièges en cuir délavé. Tout aussi incongrue est la vue des deux classeurs de couleur rouge sur les sièges de la cabine de pilotage ; Des modes d’emploi, en tout cas cela y ressemble. J’en profite pour me souvenir que le petit aéroport de Lukla compte déjà un assez grand nombre d’accidents mortels impliquant avions et hélicoptères… Cette image ne me quittera pas de tout le vol.

Le frêle oiseau de ferraille semble déjà peiner à décoller sans se disloquer, mais ce n’est rien en regard de ce qui nous attend une fois en l’air. Au premier col de montagne, l’appareil est secoué par un trou d’air ; Acceptable, cette acrobatie non désirée entraîne l’hilarité des passagers. Au second, nous réalisons une bascule brutale sur le côté, avec un angle prononcé, et aucun rire ne s’échappe. Au dernier, le plus haut, un arbre au sommet du col semble dangereusement s’approcher du dessous de l’appareil, qui n’arrive visiblement pas à prendre davantage d’altitude ; Notre cercueil volant tangue cette fois si furieusement, que la peur se lit sur tous les visages, même celui de l’hôtesse pourtant impassible jusqu’à maintenant.

J’ai l’impression que le plus dur est derrière nous lorsque l’on devine l’approche finale vers Lukla. La piste est réputée être l’une des plus dangereuses du monde, et on se rend très vite compte que les petites oscillations précédentes ne nous empêchent pas de serrer la mâchoire en voyant la taille minuscule de la piste, son inclinaison, et surtout sa position à flanc de montagne. Un mur délimite l’extrémité haute, à moins de 500m du bord inférieur de la piste qui elle, surplombe un à pic vertigineux

A 2850m d’altitude, nous touchons le sol, et nous nous immobilisons brutalement. Viennent de prendre fin les 45 minutes les plus longues de ma modeste existence, c’est certain.

Nous chargeons nos sacs sur le dos, puis nous arrêtons peu après la sortie de l’aéroport pour prendre un complément de petit déjeuner bienvenu : chapati / beurre / confiture, une bonne base pour avancer un peu aujourd’hui.

Nous quittons Lukla vers 10 heures 15 et entamons notre ascension physique et spirituelle vers une arrivée que nous n’avons pas vraiment défini. Nous verrons bien, en fonction de la fatigue, où nous nous arrêterons ; En attendant, nous savourons l’air pur, et l’environnement impressionnant qui nous entoure.

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Il y a pas mal de monde sur les sentiers, bien que nous ne soyons pas encore au cœur de la saison touristique (nous avons pris un peu d’avance, une semaine ou deux) ; Touristes, locaux, bêtes et porteurs se partagent la voie.

Ces derniers sont fidèles à leur réputation : impressionnants ! D’un gabarit toujours très modeste, souvent frêles et voûtés, parfois très âgés, ils transportent à dos d’homme des dizaines de kilos de matériels divers vers les hauteurs des vallées du Khumbu.

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Porteurs et Sherpas :

Dans l’imaginaire collectif (souvent appuyé par les médias ou les groupes de touristes occidentaux qui aiment les généralités faciles à digérer) les porteurs sont désignés sous le terme de « Sherpas ». C’est bien sûr tout à fait inexacte.

Les Sherpas forment une ethnie des hautes vallées, principalement localisée dans la région du Khumbu / Solukhumbu, au Népal. C’est un peuple des montagnes, originaire directement du Tibet voisin, duquel ils ont émigré il y a de cela un peu plus de 500 ans. Ce peuple rustique et habitué aux contraintes de l’altitude, présente des prédispositions biologiques naturelles pour contrer les effets néfastes de l’hypoxie liée aux altitudes élevées.

Ces qualités d’adaptation au milieu, couplées à leur localisation dans le secteur du Khumbu, ont conduit les expéditions Himalayennes, dès le début du 20e siècle, à choisir des Sherpas pour les accompagner en tant que porteurs vers les camps de base, et sur les montagnes. Depuis lors, ils sont toujours associés aux grandes expéditions, et notamment vers l’Everest, le Lhotse ou le Makalu, trois des plus hauts sommets de la Terre et tous situés proches des zones de vie de cette ethnie.

Une grande majorité des porteurs que vous croiserez au Népal ne vient pas du Tibet, ni des hautes terres du Khumbu, mais des plaines les plus basses et les plus pauvres du pays ; Il s’agit de travailleurs durs à la tâche, payés une misère, qui luttent contre les effets de l’altitude pour lesquels ils n’ont aucune prédisposition. Ce sont souvent des ethnies marginalisées, et de la main d’oeuvre bon marché.

Le touriste occidental, friand de culture superficielle, leur attribue le nom de « Sherpas » de même que les médias généralistes. Il n’en est rien. Et il est intéressant de saisir le sens de ces mots pour celui qui visite le Népal, car l’histoire de ces hommes et de leurs ethnies respectives est passionnante, riche et complexe, et apporte un autre regard sur ce qu’est fondamentalement le Népal dans son entièreté.

Sur le sentier, et si les premières encablures étaient plutôt simples, je commence doucement à ressentir la difficulté de la marche. Les escaliers sont parfois raides, et nous sommes déjà à près de 2800m. La dernière série d’escaliers est dévastatrice pour mes cuisses, et arrivés à Monjo, à 2840m, nous trouvons un lodge où passer la nuit.

La chambre est agréable et spacieuse, et nous profitons même d’un peu d’eau chaude pour nous doucher avant le repas. Mis au sec, la fatigue nous assaille, et nous passerons une bonne heure à dormir avant d’aller prendre notre pitance, accompagnée d’un thé au citron. Le plat englouti, nous sommes remontés à bloc ! Au contraire d’un groupe d’une vingtaine d’anglo saxons, dont certains semblent en piteux état, physiquement et moralement, alors qu’il s’agit pour eux aussi de la première étape de leur randonnée. Pas certain qu’ils arrivent jusqu’au Camp de Base de l’Everest, leur objectif, sans exploser en vol !

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La soirée se déroule calmement au coin de l’âtre, à discuter avec la patronne du lodge, et un japonais venu parcourir, avec un guide local, les sentiers des lacs de Gokyo, et ceux du secteur de l’Everest. Peut être nous croiserons nous à nouveau les prochains jours.

Le bilan de cette première journée est positif, puisque nous avons pu décoller de Kathmandu, marcher un peu, et donc nous permettre de réduire l’effort de la journée de demain qui nous fera arriver à Namche Bazaar, à environ 3440m. Si avant 11 heures ce matin le temps était radieux, les 5 dernières heures furent marquées par le vent en rafale, et un peu de pluie en arrivant ; Rien de très embêtant cela dit, puisque le trajet s’est déroulé agréablement et dans un cadre déjà superbe.

Nous ne nous sommes pas trop fait priés pour dormir, et la nuit a été réparatrice. Nous choisissons aussi de nous lever un peu plus tard et de traîner des pieds pour pouvoir manger après tout le monde, et profiter d’un peu de calme avant de nous mettre en route vers Namche.

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Peu après notre départ, nous avons croisé un porteur chargé d’une pléthore de jerricans d’eau – une bonne trentaine à vue d’oeil – dont certains étaient encore pleins. Avec son colis de plus de deux mètres de haut et de large, et de certainement 80kg, il chemine à allure lente mais régulière.

Notre montée aussi est plutôt marquée du sceau de la lenteur ; En partie pour le plaisir contemplatif de cette courte journée, et en partie pour ne pas froisser nos organismes alors que nous arrivons doucement vers des altitudes critiques. La montée est raide et plutôt cassante, et malgré les photos, il nous faudra 2 heures 30 à rejoindre le village, alors que le tempo « rapide » est généralement donné pour 3 heures. On tient la forme pour le moment, c’est plutôt bien !

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Il nous reste ainsi tout l’après midi pour profiter des vues et des rues de Namche Bazaar ; Sa construction à flanc de montagne, et sa forme de cirque lui donnent un côté très exotique. Nous prenons quelques images, visitons un Gompa – un petit monastère – et discutons ça et là avec les locaux, avant de donner quelques nouvelles au monde depuis le cybercafé d’altitude.

Au Yak Hotel, nous profitons d’une chambre agréable, même si le supplément « douche » est à 300 Rs. L’eau demeure une denrée plutôt rare, et les stocks ne sont pas illimités, loin de là. La soirée, encore une fois, est plutôt cool, et nous privilégions l’ambiance calme et le repos aux premières heures de la nuit.

Demain, nous profiterons d’une journée d’acclimatation, avec une petite randonnée circulaire sur les hauteurs, et une deuxième nuit à Namche Bazaar, avant de repartir vers des altitudes plus élevées.

Le Khumbu : de Namche à Gokyo

« Les collines ne peuvent se comparer aux montagnes. »

– Premier tiers : les plus hautes vallées du monde –

L’étape commence par une belle montée sèche de 400m de dénivelé ; Nous sentons nos jambes et notre cœur en difficulté sous les effets de la pente et de l’altitude. Arrivés à Khunde à 3890m, nous avons enfin en vue l’un des plus beaux sommets de la planète : l’Ama Dablam !

A plus de 6800m, c’est un diamant parfait qui scintille aux premiers rayons du jour, colosse de neige tiré vers les cieux et masquant en partie un monstre plus grand encore, l’Everest, dont nous voyons, en partie, la face Sud. Le petit village offre un cadre sublime, niché au creux de montagnes mythiques.

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En redescendant vers Khumjung, nous nous arrêtons au pied d’un gros bloc de roche posé à côté du chemin ; L’occasion de nous dégourdir les bras, avec quelques pas d’escalade sous les yeux amusés des villageois qui vont et viennent non loin de nous.

A Khumjung, nous nous arrêtons dans un petit lodge le temps de boire un thé revigorant avant de poursuivre notre route. Il s’agit de la maison de Dawa Norbu Sherpa, guide sur les plus hauts sommets du monde pour une grosse agence, et dont la saison a déjà commencée à l’Everest ; Sa femme a transformé la demeure familiale en petit tea shop, et tiens la boutique avec grand sérieux, et grand sourire.

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Notre petite pause restauration se fera à proximité de Namche, et avec une vue de premier plan sur l’Ama Dablam, majestueux. Puis déjà nous voilà retourné à notre Yak Hotel pour y finir la journée en douceur ; Mes tentatives de charger mes batteries d’appareil photo, d’abord sur un PC puis en bricolant le chargeur de Dom à l’aide de deux épingles à nourrice, demeurent infructueuses. Il faudra donc rationner l’utilisation du matériel pour les semaines à venir.

Une nouvelle soirée au calme et agréable, et nous voilà prêts à affronter la suite de nos péripéties !

Vers 06 heures Dom et moi sommes réveillés ; La nuit a été entrecoupée d’un peu de bruit, mais rien de méchant, et nous sommes tout de même bien reposés. Pour le moment, nos corps supportent l’altitude sans montrer signe d’une quelconque faiblesse.

Après deux heures de marche, nous gagnons le petit village de Thamo, où nous nous autorisons une petite pause thé, avant de continuer deux heures plus en amont, jusqu’à Thame, à 3800m. C’est un endroit très joli, découpé par une longue crête effilée qui sépare en deux parties les habitations. Nous choisissons pour notre nuitée un petit lodge, de l’autre côté de cette ligne de démarcation naturelle.

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Les Népalais sont rieurs, et cela semble d’autant plus le cas dans cette immense vallée. Nous sommes en plein pays Sherpa, et les enfants font montre d’une curiosité infinie à notre passage, parlant aussi bien l’anglais à 6ans, que moi à 25 !

Certains se prêtent volontiers au jeu des photos, mais d’autres sont plus timides ; Les adultes, en général, et les anciens en particulier, n’aiment pas être photographiés. Vestiges des anciennes croyances, qui indiquent qu’une image prise peut voler l’âme du sujet.

De notre position, nous pouvons deviner la montée vers le col du Renjo La, à 5345m, où devrions arriver après demain ; Là haut, nous basculerons sur Gokyo, dans la vallée parallèle à la nôtre.

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Nous prenons encore quelques clichés des cultures en terrasse, ainsi que de la rivière, dont le lit, creusé à une profondeur abyssale, charrie des milliers de rochers de toute taille sur toute sa longueur.

D’ici demain, il nous faudra gagner Langden, à 4300m, dernière étape dans cette très belle vallée, avant de rejoindre la suivante ; J’ai quelques douleurs aux yeux ce soir, et une petite fatigue latente, sans avoir de maux de tête, ni de perte d’appétit. On verra bien en passant la barre des 4000m si le corps veut toujours bien s’acclimater.

Le 30 mars, nous évoluons lentement vers le haut de la vallée. Dom n’est pas en très grande forme aujourd’hui, et je suis toujours un peu fatigué. Le sentier déroule lentement sous nos pas, jusqu’à notre petite pause méridienne chez deux anciens qui tiennent une petite tea house et avec qui nous discutons longuement. Ils semblent voir passer bien moins de monde par ici, que sur les sentiers sur-fréquentés du camp de base de l’Everest.

Arrivés à Langden, passablement éreintés, nous trouvons logement à notre pied ; Les chambres sont plutôt spacieuses, mais vraiment glaciales. Nous y croisons par ailleurs deux allemands qui nous indiquent avoir rebroussé chemin avant le Renjo La : trop glissant, trop dangereux. Leur guide leur a demandé de faire demi tour, car ils étaient visiblement partis tard et n’étaient pas en grande forme pour passer le col pris dans une tempête de neige.

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Une fois les autres voyageurs partis dormir, nous passons une superbe soirée au coin du feu, Dom, les Sherpas et moi, à disserter sur un très grand nombre de sujets ; Plus important encore, nous passons la soirée à rire aux éclats, et cela fait un bien fou !

Il est rare d’entendre les Népalais s’exprimer autant, et sur autant de choses. Ils sont plutôt sélectifs dans leurs échanges avec les étrangers, et particulièrement lorsque l’on aborde leur travail, leurs difficultés. Mais ce soir là, alcool aidant, les langues se délient, et nous profitons de ces instants mémorables.

Nous partons dormir le cœur léger, et avec en vue l’objectif de demain : les 1000m de dénivelé jusqu’au Renjo La !

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Nous nous lèverons donc assez tôt pour entamer l’ascension de ce premier gros morceau, vers 05 heures 30, pour un départ à 07 heures. La première portion, sur environ 300m, donne le ton pour la journée à venir avec une grosse portion raide ; Je grimpe la pente avec l’estomac noué depuis le départ. Le petit déjeuner ne passe pas, j’ai mal au ventre, et chaque pas me fait souffrir.

Arrivé à 4800m, et le souffle de plus en plus court, je commence à me sentir vraiment mal. Les effets conjugués de l’effort, de l’altitude, des maux de ventre et de la fatigue m’ont conduit à être déjà hors limite… Il reste 400m à faire.

Je suis complètement vide, et j’ai du mal à aligner plus de 100 mètres de distance en un coup ; Et plus ça va, moins ça va. Arrivé vers 5000m, je m’offre une pause pour régurgiter l’ensemble des repas du matin et de la veille… Les 250 derniers mètres sont d’une pénibilité sans nom.

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Des marches à n’en plus finir, hautes, irrégulières, et mon sac de 15kg, et j’arrive totalement détruit au col, dans la neige et sous le vent. Une petite pause obligatoire, et nous voilà dans la longue descente vers Gokyo. J’attrape des onglées aux deux mains, qui ne veulent plus partir ; Dom me passe un peu d’aspirine, puis je réchauffe comme je peux ces satanés doigts, jusqu’à sentir la violente brûlure qui signe le retour d’une circulation sanguine normale dans mes extrémités.

Arrivés à Gokyo, nous entrons dans le premier lodge que nous trouvons, au bord du lac ; Nos têtes amusent la patronne du Cho Oyu View Lodge, qui semble deviner par son sourire que nous avons bien « ramassés » pour venir.

Un coca, une grande thermos de Hot Lemon Tea, et quelques cacahuètes plus tard, je récupère doucement mes forces. Je suis rincé, mais physiquement, je me sens bien mieux.

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La vue sur le lac au dehors, et la très longue descente que l’on vient de terminer, est plutôt pas mal. A 4740m, Gokyo fera parfaitement l’affaire pour une nouvelle journée d’acclimatation et de repos le lendemain.

En fin d’après midi, un jeune Australien passe la porte pour chercher refuge et nuitée ; Il vient aussi du Renjo La, et semble épuisé ; Sans doute avions nous la même tête en arrivant tout à l’heure. Au bout d’un temps, il nous explique avoir commencé sa journée en compagnie d’un touriste Israélien qui souhaitait lui aussi rejoindre Gokyo. Son binôme d’infortune a eu de très grandes difficultés à monter vers le col, et arrivé à la limite de neige, vers 4900m, se sentait trop mal pour continuer. Le jeune Australien lui a demandé de redescendre, et il a continué seul vers le haut, avant de s’apercevoir que l’autre le suivait au loin. Il ne sait pas si le ressortissant Israélite a continué ou non.

Nous sommes tous plutôt inquiets, mais vers 19 heures, nous ne voyons toujours personne arriver. Nous supposons que plus de 12 heures après son départ, il a certainement du rentrer à Langden.

Quelle n’est pas notre surprise de le voir débarquer à près de 20 heures dans le lodge ! Il est exténué, et a le plus grand mal à retirer ne serait-ce que sa veste. La patronne lui offre un thé et quelques gâteaux, qu’il accepte sans vraiment parler.

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De prime abord, il nous semble sympathique, en tout cas il a été déterminé dans sa marche. Mais il faut bien reconnaître qu’il s’agit littéralement d’inconscience. L’altitude, la neige, l’obscurité, le froid, l’épuisement sont autant de facteurs qui auraient pu largement contribuer à une issue fatale.

De plus, il semble totalement étranger à la montagne, et son attitude hautaine vis à vis de notre hôte nous fait vite le mettre à l’écart de nos moments de discussion. Le lendemain, il projette de « traverser » le lac gelé, à pieds… Nous sommes plusieurs à lui indiquer que c’est dangereux et pas assez solide, mais il persiste dans sa stupidité.

La nuit tombe vite, et dans la chambre glaciale, nous partons nous coucher. Le froid et les courants d’air vont rendre le sommeil difficile mais heureusement, néanmoins suffisant.

Et au petit matin du 01 avril, nous relevons -8 degrés dans la chambre ! Notre fenêtre est couverte d’une pellicule de glace, que nous grattons pour deviner de l’autre côté l’immense Cho Oyu, qui culmine à plus de 8000m, tout au bout de la vallée.

Le temps est au beau fixe, et nous prenons le temps de bien nous restaurer avant d’aller nous promener un peu en direction du Nord, vers cette gigantesque montagne qui barre la frontière entre le Népal et le Tibet voisin.

Nous longeons la moraine du glacier, jusqu’au 3ème lac avant de rebrousser chemin. Au fil de nos pas, nous nous arrêtons parfois pour grimper un petit bloc de pierre de ci de là ; Mon estomac n’est pas au mieux de sa forme, et s’échine à absorber bien plus d’énergie qu’il ne semble vouloir en fournir.

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L’après midi sera donc pleinement utilisée pour nous reposer dans la salle de restauration de notre petit établissement ; Et la soirée se déroulera de la même manière, au calme, devant le feu alimenté par les bouses de yak séchées, avant d’aller dormir vers 20 heures, toujours dans un froid glacial.

L’idiot Israélien aura réussi à « traverser » la couche de glace du lac, à 5m de la berge, et a bien failli mourir bêtement une deuxième fois, après avoir survécu à sa journée de marche forcée la veille. Nous l’ignorons totalement, et le jeune Australien ne lui prête guerre plus d’attention ; Demain, il partira sans lui (et profitera certainement bien plus du reste de son voyage ainsi).

Le Khumbu : de Gokyo à Gorak Shep

« Les collines ne peuvent se comparer aux montagnes. »

– Deuxième tiers : arrivée au pied de l’Everest –

Le 02 avril nous voit cheminer vers le bas de la vallée de Gokyo, et rejoindre le pied du Cho La, le col qui nous fera retomber vers le camp de base de l’Everest. La patronne de notre modeste hôtel nous recommande une consoeur chez qui loger, et nous demande de lui passer le bonjour ; Avant de partir, elle nous offre une barre chocolatée pour la journée. Un geste simple, mais qui met du baume au cœur et que nous apprécions énormément.

Nous atteignons rapidement la moraine du glacier, qu’il nous faut descendre. A cet instant nous faisons face à la première surprise : il va falloir traverser le kilomètre de large de ce glacier couvert de millions de mètres cubes de roches et de sable.

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Pour cela, nous devons d’abord longer le bas de la moraine, sous des pentes de pierres instables juchées à plus de 30 mètres au dessus de nos têtes. Les presque 400 mètres de sente à flanc se passent bien, malgré quelques sifflements de cailloux qui se détachent de temps en temps, et viennent frôler nos têtes avant d’aller exploser un peu plus bas. C’est terrifiant, mais heureusement, plutôt court.

S’en suit près d’une heure de diagonale lunaire sur cette immensité de glace et de roc. Seuls, au milieu de l’un des plus grands glaciers du Népal, l’ambiance est impressionnante, et aucune photographie ne saurait rendre justice aux lieux.

Mais avant de s’en extraire, en remontant la moraine opposée, il nous faut à nouveau emprunter une sente à flanc, d’où jaillissent toujours plus de pierres ; Pas d’abri, pas de répit, la traversée exposée va m’user moralement, et je suis bien content que l’on s’accorde une pause une fois remontés.

Dragnag n’est plus très loin, et nous prenons quartiers au Tashi Lodge, recommandé par notre hôte de Gokyo. Une fois restaurés, nous sortons tâter un peu du rocher, sans rien trouver de grimpable. Puis c’est l’occasion d’ouvrir ma boîte à pharmacie, pour tenter de contrer rapidement les effets de la tourista que je viens d’inaugurer !

Et me voici à prier pour le Cho La, et ses 5340m, qui attend d’user nos corps demain matin.

Pourtant, au petit matin du 11ème jour, ce n’est pas mon état qui est préoccupant, mais celui de Dom.

A 5 heures, je suis réveillé par le bruit de sa respiration très difficile ; Il n’a presque pas dormi. La décision qui s’impose est la seule valable, il faut descendre rapidement dans la vallée ! Peut-être un signe, puisque dès 09 heures il va commencer à neiger, et ce jusqu’au soir.

Je redescends jusqu’à Machermo, à 4400m, avec un Dom simplement rectifié. Nous ne pouvons pas savoir si il s’agit ou non d’un Mal Aigu des Montagnes (M.A.M.), et dans l’hypothèse affirmative, nous faisons le choix de redescendre en altitude, seul remède contre ça.

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Le chemin est plutôt beau, mais le mauvais temps nous gâche un peu la vue aujourd’hui ; Arrivés à Machermo, nous choisissons le Namgyal Lodge. Nous avons entendu dire qu’il y avait ici un médecin, au Rescue Post, et nous nous y rendons sans trop tarder. Le lieu est tenu par deux médecins britanniques bénévoles, et a pour mission principale la condition des porteurs d’altitude au Khumbu.

Il a également pour vocation d’informer et de soigner touristes et népalais, et principalement du M.A.M. ce qui nous arrange plutôt bien il faut l’avouer. De 15 heures à 17 heures nous assistons ainsi à une conférence très instructive à ce sujet, en compagnie de près d’une vingtaine d’autres trekkers.

Au regard du spectre détaillé des symptômes, notamment, et des causes et conséquences, Dom aura choisit la consultation en fin de séance. Il passe donc chez l’un des médecins du centre, et en ressort rassuré : l’œdème est écarté.

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Nous rentrons nous restaurer, et croisons deux Australiens qui viennent de tenter l’ascension du Cholatse, un très beau sommet du secteur. Ils ont renoncés, mais s’offrent là une très belle expérience en altitude ; Je me dis encore une fois que ces sommets m’attire, et qu’un jour ou l’autre, je reviendrais grimper « là haut » !

Sans trop de cérémonie, nous partons nous coucher.

Demain, nous descendrons encore un peu, et j’espère que la perte d’altitude et la médication rendront mon partenaire de voyage plus en forme.

A 09 heures nous repartons de Machermo en direction de Phortse, à 3900m. Dom semble aller un peu mieux ce matin, mais de toute manière, nous prenons tout le temps qu’il faut. Le ciel couvert se dissipe lentement, et nous laisse bientôt entrevoir la vue saisissante des Thamserku et Kangtega, deux très grands pics élancés qui surplombent toute la vallée, et qui semblent en garder son embouchure.

Le vent se lève, puis le nuages reviennent. Fort heureusement, nous éviterons la pluie jusqu’à notre arrivée. Le sentier est magnifique, entre montagne nue et forêt de pins et de lichens ; Il tombe dans la vallée, puis en remonte abruptement jusqu’à Phortse.

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Je décide de tester un peu ma condition physique dans la raide montée, et en un peu moins de 15 minutes, je couvre les 250m de dénivelé qui me sépare de l’entrée du village ; Je suis plutôt satisfait, d’autant que le sac est toujours relativement lourd, et que je n’ai pas entièrement récupéré mes fonctions digestives.

Le Tashi Delek Lodge nous attire pour la nuit, et surtout, pour éviter la grosse ondée qui vient de tomber sur Phortse. Après la pluie, le beau temps, et nous ressortons faire quelques photos, notamment à l’école du village où de généreux donateurs ont offerts une collection de doudounes et de vestes à tous les enfants.

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Le ciel dégagé, nous entreprenons de rejoindre une ligne de crête un peu au dessus de l’école. La vue y est majestueuse, avec face à nous les glaciers nimbés des restes de nuages du Thamserku et du Kangtega, à 6700m, et sur le côté, la pyramide nacrée de l’Ama Dablam, que nous voyons maintenant de près.

La vue est claire et spectaculaire, et nous resterons ainsi à la contempler jusqu’aux rayons couchants. Le soir nous éconduit, et nous voilà rentrés manger, puis dormir.

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Le 5 avril voit nos deux aventuriers quitter les deux vallées les plus sauvages de la région, et entrer dans la phase touristique de leur itinéraire. Nous partons en direction de Pheriche, sur le chemin de l’Everest.

Il y a beaucoup, beaucoup de monde aujourd’hui sur les sentiers ; Animaux, Locaux et surtout, touristes. Des grappes entières de gens à la peine, guidés par les plus grands tour opérateurs, se pressent vers le haut de la vallée, visiblement en difficulté, visiblement non acclimatés, et visiblement sans y être physiquement entraînés.

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Dommage, cela gâche un peu le plaisir de parcourir ces sentiers si esthétiques, sous l’oeil du grand Ama Dablam qui innonde de sa présence toute la vallée. Nous voyons d’ailleurs se dessiner au loin les frontières du Tibet, marquées par la présence de deux des plus grandes montagnes du monde, et vers lesquelles nous cheminons maintenant.

A Pheriche, l’impression de « vallée commerciale et touristique » est démultipliée. Nous sommes plus au Carlton que dans un lodge… Bref, nous y séjournerons, et nous en repartirons sans grande émotion.

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Au petit matin, la neige a couvert toutes les traces, et une chape de nuages enserre les cieux. Nous n’y voyons pas grand chose lorsque nous quittons notre « Carlton » en direction de Lobuche, à 4910m.

Le soleil est perché juste au dessus de nous, et perce juste assez le nuage pour nous faire cuire dans une véritable cocotte minute. La montée est rude, et mes jambes sont lourdes ; Je me sens vide, comme à la montée du Renjo La, et ce brouillard dégoûtant me donne le vertige et presque une ophtalmie.

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Lors d’une pause, un porteur me propose d’essayer de porter la charge d’un jeune de 16ans environ. Nous sommes à presque 5000m, et j’arrive à peine à soulever le poids et à le charger. Je le repose aussitôt, et évalue la chose à presque 50kg. En réalité, ce jeune garçon bien frêle porte une charge de 60kg – sans doute plus que le poids de son propre corps.

Nous faisons une courte pause pour nous restaurer à mi chemin, à Dzughla, puis repartons vers notre destination par une montée frontale sur la moraine. Arrivés à Lobuche, on passe de lodge en lodge pour essayer de dégoter une chambre : tous affichent complets, sauf un, qui nous propos une chambre standard à 1000Rs ou deluxe à … 50$. A moins de 300Rs en moyenne pour une chambre, inutile de dire que l’on s’en va sans dire merci.

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On fera séjour au Sherpa Lodge, pour un prix correct et une nourriture simple. Mon estomac est toujours en souffrance depuis Gokyo, et j’avale bien peu de choses et me fatigue bien trop vite ; La soirée passe à vitesse lumière, et je suis plutôt heureux de retrouver mon sac de couchage de bonne heure.

Le lendemain au réveil, nous quittons Lobuche pour le Gorak Shep, dernier village avant le camp de base de l’Everest, et point le plus haut de notre ascension dans cette vallée. Il nous faut environ deux heures de marche pour y parvenir, et prendre le premier lodge venu.

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Nous profitons de l’après midi pour nous reposer, et faisons de même ce soir. A 5180m, nous allons passer une nuit plutôt haute en altitude, et ne devons pas nous « griller » davantage.

A la faveur de la soirée, j’emprunte le chargeur pour tenter de redonner vie à ma batterie qui commence à sérieusement décliner. Il me faut me rendre dans un établissement voisin pour y brancher le précieux objet, et récupérer un peu d’énergie, avant de regagner mon lieu de villégiature et d’imaginer que demain matin, vers 04 heures 30, je vais essayer de me lever et de monter sur le très beau point de vue du Kala Pathar qui surplombe le village.

Après cela, commencera le long chemin du retour, au fil de l’ancienne route de l’Everest, jusqu’aux environs de Jiri ; Des immensités d’ici, jusqu’à des vallées sans doute bien plus exotiques.

Le Khumbu : de l’Everest à Jiri

« Le voyage est un retour vers l’essentiel. »

– Dernier tiers : le long chemin du retour –

Sans surprise, la nuit a été très mauvaise. Peut être 3 heures de sommeil, au plus ; Mais à plus de 5000m je ne m’attendais pas à beaucoup mieux.

A 4 heures 30, les paupières lourdes, je me lève et je m’habille. Dom reste un peu pour se reposer, et me rejoindra peut être un peu plus tard. L’objectif est de monter au Kala Pathar, petit promontoire à la vue incroyable, à 5545m.

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Le départ à la frontale se fait tout de suite dans le raide, mais les jambes fonctionnent étonnamment bien. Je dépasse bientôt deux népalais, surpris, et deux russes, plus encore. J’ai avalé plus des ¾ de la montée en 30 minutes, et je décide de ralentir un peu le rythme, le reste de la journée étant encore plutôt long.

Arrivé tout en haut, je me retourne. La vue qui s’offre à moi est sans commune mesure avec mes rêves les plus fous. Le soleil se lève lentement derrière le sommet de Chomolungma – l’Everest – et illumine le col Sud et l’arête sommitale ; Les vents balayent la cime de toute leur fureur, tandis que le Lhotse voisin semble quelque peu épargné.

Un à un, tous les sommets du Khumbu s’allument dans le ciel d’un bleu absolument parfait. Et juste derrière moi se dressent les pentes de neige du Pumori, à 7161m.

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Je redescends de cet endroit que je souhaiterais bien ne jamais quitter, et, arrivé à la moitié du chemin retour, je croise Dom. Il m’explique être parti à 6 heures, et, en compagnie de deux Danois rencontrés la veille – un père et sa fille – être tombé sur une personne décédée sur le sentier.

Ils ont tenté de ranimer le pauvre homme, sans succès ; Puis ont entrepris d’aider deux Sherpas à descendre le corps au village. Une bien triste nouvelle, en cette si belle journée.

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Nous redescendons manger au lodge, dans un silence un peu pesant, puis nous nous remettons en route pour gagner Dingboche, à 4345m. Le sentier qui serpente entre Dzughla et notre arrivée est proprement superbe, avec une vue privilégiée sur la face Nord de l’Ama Dablam. Et lorsque nous arrivons enfin, toujours le même rituel : un lodge, du thé, et du repos.

Le 09 avril, ça y est, la haute montagne s’efface doucement derrière nous. L’étape du jour pour relier le monastère de Tengboche est encore très haute en couleurs et en sommets, mais je ne peux m’empêcher de me rendre compte que très bientôt, nous aurons gagnés Namche Bazaar, et que nous n’allons plus faire que descendre en altitude.

C’est une autre phase de notre trek qui commence, pour les dix prochains jours. En attendant, nous suivons le sentier en pente douce, jusqu’à tomber sur un boulangerie, à 4340m. C’est un peu surprenant, mais deux donuts plus tard, on se décide à se remettre en route.

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Beaucoup de monde se dirige maintenant vers le Nord de la vallée, vers les hauteurs, tandis que nous redescendons ; Dans notre sens de marche, il y a bien moins de fréquentation. Nous croisons dans des marches d’escaliers abruptes un porteur qui monte avec 4 bottes de foin pressé de 25kg chacune sur le dos… A 4000m, c’est surréaliste !

Lorsque nous arrivons à Tengboche, nous nous installons dans le premier lodge venu, avant de nous rendre au très joli monastère ; Nous avons loupé la pudja, mais profitons tout de même de l’ambiance hautement mystique des lieux.

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L’après midi est reposante, et dehors, le temps est à la grisaille. Mes batteries finissent par rendre l’âme, malheureusement, et je vais devoir compter sur le talent de Dom pour illustrer la suite de notre périple. Demain, nous reprendrons le chemin de Namche Bazaar, et essaierons de donner quelques nouvelles au monde occidental ; Peut-être même ferons nous un brin de lessive, en tout cas cela serait bienvenu.

Nous bouclerons en tout cas deux très belles semaines dans le Khumbu, terre des Sherpas, et de la très haute altitude.

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Je suis réveillé très tôt par des contrariétés gastriques, et constate qu’au dehors il neige à très gros flocons. Nous attendons un peu, et le mauvais temps fini par laisser place aux éclaircies.

Le trajet jusqu’à Namche est parfaitement doux, et consiste en une longue descente, suivie d’une longue montée et d’un sentier en balcon jusqu’à destination. En fond de vallée, nous allons croiser le très grand (et sec) Ueli Steck, immense alpiniste Suisse ; Avec son compagnon de cordée Simon Anthamatten, ils n’ont pas un rythme qui fait rigoler, c’est le moins que l’on puisse dire ! Ces types sont d’un autre calibre, et ça se voit en un clin d’oeil.

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A ce propos, nous avions croisé une bande de Tchèques il y a quelques jours du côté de Dzughla, et on peut dire qu’eux non plus ne font pas dans le détail. Leur « team leader » a 8 sommets de plus de 8000m, dont 3 fois le K2, et près de 70 séjours en Himalaya dont bien peu à mon avis étaient destinés à faire du trekking !

Arrivés à Namche, nous reprenons nos quartiers au Yak Hotel, même chambre. On passe la soirée dans le calme de la salle à manger, à écouter Cat Stevens et sa guitare sur un Cd qui nous fait un bien fou, avant de bénéficier d’une bonne nuit de sommeil.

Le 11 avril au petit jour, il nous faut traîner un peu la patte jusqu’aux alentours de 10 heures, heure d’ouverture de la petite banque de Namche, où je dois retirer quelques espèces sonnantes et trébuchantes.

Pour patienter, nous prenons un peu de temps au cybercafé ; C’est agréable de lire les petites attentions et de pouvoir tenir informés nos proches de notre avancée. Puis nous préparons nos sacs, avant que la patronne du Yak Hotel nous interpelle dans la salle à manger, avant de partir, pour nous offrir un Kata – une écharpe de soie fine – pour nous porter chance. Une bien jolie attention, que nous apprécions tout particulièrement.

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Bon, le porte bonheur semble fonctionner à retardement, parce que le providentiel distributeur de billets ne veut pas fonctionner ! Nous faisons un peu de change, puis partons tardivement dans la descente casse-pattes qui nous amène à Monjo, où nous attendent la pause et la pluie.

Nous décidons de bien nous équiper, puis continuons en direction de Phakding, sous l’averse. Un lodge, une chambre, et nous attend une jolie soirée à regarder des films de Bollywood sur une minuscule TV. Nous ne comprenons pas grand chose, mais participons volontiers à l’hilarité collective quand certaines scènes déclenchent les fous rires – communicatifs – de nos hôtes.

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Lorsque nous partons dormir, nous savons que désormais, une phase plus exotique du voyage nous attend, et certainement moins touristique que ces derniers jours : la descente vers Jiri, sur l’ancienne « route de l’Everest » d’où partaient les caravanes vers le sommet avant la construction de l’aéroport de Lukla.

Au départ du lodge le lendemain matin, Dom est en petite forme ; Quant à moi, je dois faire un crochet ascendant vers Lukla pour espérer y retirer un peu d’argent pour finir le trajet sereinement. Nous nous rendons compte à chaque pas que les cultures sont devenues bien vertes depuis notre premier passage ; La pluie de la veille a du bien aider également.

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Tandis que Dom bifurque par un chemin bas vers Surke, j’avale rapidement la montée vers Lukla, et galère un peu à trouver une banque ; Un ancien me guide vers l’une d’elles, et 5% de commission plus tard, je repars avec mes liquidités vers le point de rendez-vous.

Je redescends à l’aplomb de la piste d’atterrissage, dans une pente terrible, accompagné d’un autre « ancien » qui court devant moi comme à ses 20ans. Je fais bonne figure, et en 20 minutes scabreuses, nous voilà à rejoindre Dom ; J’ai les jambes en vrac.

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La pause déjeuner terminée, nous attaquons la raide montée de 600m de dénivelé qui se présente devant nous ; Nous laissons d’abord passer plusieurs porteurs qui ont sur le dos des poutres de plusieurs mètres de long, empilées dans le sens de la longueur, et qui doivent descendre arc boutés à 90° pour ne pas que leurs charges touchent le sol. Décidément, ces scènes de vie sont vraiment hallucinantes !

Le sentier est difficile, cassant, et parsemé d’escaliers irréguliers, mais il déroule sous nos yeux un cadre végétal incroyable. La brume donne une ambiance mystique au lieu, le long de cette sente de montagne.

Nous nous arrêtons vers 17 heures au Third Eye Lodge, à Puyang, pour nous refaire une santé, un repas, et surtout, nous endormir paisiblement.

Le jour suivant, une fois le petit déjeuner englouti, nous nous mettons en route vers 09 heures. C’est assez dingue d’évoluer ce matin dans une forêt luxuriante, aux accents tropicaux indéniables ; Avec la lumière du matin, c’est stupéfiant.

Dom souffre un peu à cause des lanières de son sac qui semblent vouloir se frayer un chemin à travers ses épaules, et pour ma part, je commence à me montrer précautionneux avec mon genoux droit, qui fait des siennes depuis plusieurs jours, et plus encore après la descente un peu trop rapide de Lukla.

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Nous nous restaurons dans le très esthétique village de Buptsa, où le patron de notre Tea house est un ancien guide sur l’Everest et le Shisha Pangma, notamment ; Il a pu s’arrêter et investir ses économies dans cette petite affaire familiale. Son fils est guide, et ses filles sont… très belles !

En continuant notre descente, nous croisons nos premiers bananiers. Après des semaines minérales, dans les roches et les glaces du Solukhumbu, c’est pour le moins incongru. A Dubing, près de la rivière Dudh Khosi, nous nous arrêtons dans un lodge superbement situé.

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Dans le jardin se trouve une petite tonnelle de bois, fleurie, et les alentours verdoyants dégagent d’agréables parfums exotiques ; C’est un petit paradis, et un très bel endroit. Nous y passerons la nuit, avec quelques jeunes porteurs dans les chambres voisines.

Au 14 avril, nous voyons se dessiner une journée on ne peut plus simple, en tout cas dans son déroulé ; Nous allons passer le pont de la Dudh Khosi, à 1500m, et remonter tout droit à Taksindu, à 2900m.

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La montée de 1400m de dénivelé se fait sous une chaleur accablante, et Dom est en souffrance. Ses épaules sont très douloureuses, le soleil tape fort, et les jambes ne répondent pas bien ; Du coup, nous anticipons un peu la pause, et à 11 heures 15, nous stoppons pour un bon coca, une pizza et de la soupe. Un cocktail revigorant et nécessaire.

La deuxième moitié de la montée se passe mieux, et à Taksindu, nous trouvons refuge dans un lodge frigorifique. Nous restons réfugiés à la cuisine, seul espace de chaleur du bâtiment ! Et après un bon plat de nouilles, et du thé en abondance, nous filons nous coucher sans demander notre reste.

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La grimpette se poursuit au petit matin, mais peu soutenue, et peu longue ; Au col, le Taksindu La, à 3050m, nous redescendons dans une jolie vallée où nous assistons au balais des singes, des Langurs blancs et noirs, qui se balancent tous azimuts autour de nous.

Nous traversons un pont, puis s’en suit une longue montée, avant de redescendre sur Junbesi, point d’arrivée de la journée, et temple des « Swiss Rostis » pour ce soir. Quelques longues heures paresseuses au coin du feu, et nous voilà partis dans les bras de Morphée.

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Depuis Junbesi, point de salut, pas d’alternative : il faut monter. La vallée principale où nous évoluons, et les vallées annexes, sont magiques.

Le cadre est proche d’un décor de Suisse ou d’Autriche, avec d’immenses prairies et de grandes forêts, qui viennent buter contre des montagnes arrondies ; Dans le fond, des sommets élancés et enneigés tranchent avec ce décor presque doux et épuré, de même que les quelques villages et monastères disséminés ça et là.

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Avant le col à 3500m, on traverse la forêt sur une sente en pierres pas piquée des vers, avant de basculer sur l’autre versant où l’on trouve une petite gargote pour nous repaître.

La descente vers Sete longe une belle crête pendant un long moment, et nous sommes heureux d’arriver à destination. Nous trouvons chambrée chez un sympathique ancien.

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Lorsque nous quittons l’établissement le lendemain, c’est par une descente d’un peu plus de 2 heures 30 que nous commençons notre journée. Tout du long, nous sommes suivis par un chien, qui ne s’arrêtera qu’une fois arrivé dans le village tout en bas.

En passant les premières habitations, nous entrevoyons un homme qui nous fait de grands signes devant sa Guest House. Il nous invite cordialement à nous restaurer, ce que nous acceptons avec plaisir ; Il nous indique avoir été prévenu de notre arrivée par l’ancien qui nous a accueilli hier soir, et nous avoir attendu.

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L’estomac repu, nous poursuivons vers Bandhaar. La montée est plutôt pénible, et je dois bien avouer, aujourd’hui je me sens particulièrement fatigué, un peu usé moralement aussi. Au cours de notre escapade ascensionnelle, et alors que la lassitude me gagne, nous nous fourvoyons en pleine jungle.

S’en suit une galère sans nom, à tenter de nous frayer un chemin dans une pente glissante, au milieu de fougères monstrueuses et denses, qui semblent être faites dans une matière plastique indestructible. Nous ne nous faisons attaquer par aucune espèce animale fantasmagorique, et c’en est presque un exploit ; Nous ne tentons pas le diable d’ailleurs, à l’approche d’un énorme « terrier » quasi circulaire… Dieu sait quelle bestiole a fait son nid ici !

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Arrivés au village de Bandhaar – assez étendu au demeurant – nous marchons un long moment sur une piste terreuse jusqu’à ce qui s’apparenterait au « centre » de cette bourgade ; Un homme perché à sa fenêtre nous harangue de loin, et nous tance pour que nous venions partager un breuvage dans son modeste appartement.

L’endroit est glauque, sale, et miséreux ; Mais l’homme, un enseignant du village, nous offre une tranche bienvenue d’hospitalité, et un verre de Tang complété d’une rasade d’eau douteuse. Il nous accompagne ensuite jusqu’à un petit guichet où nous pourrions peut être avoir un ticket pour le bus ; Pas de chance, le bus est plein, nous marcherons donc une journée de plus, pour arriver à Shivalaya.

Un lodge, un repas, un lit.

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Le 18 avril marque donc notre dernière journée de marche, dans ces montagnes immenses. Nous quittons la guest house vers 07 heures 30, avec un nouveau col à franchir ; Une heure plus tard, nous sommes à Deorali, et deux heures de plus nous amènent à Shivalaya.

La billetterie pour le bus ouvre à 14 heures, et nous sommes en avance ; Une soupe, un lodge, une nouvelle soupe, et nous voilà devant la petite cahute pour récupérer nos précieux billets pour le lendemain.

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De retour à notre modeste hôtel, nous prenons une bière, pour signer la fin de ces 3 belles semaines de trek.

Quelle expérience ! Nous savourons notre soirée, et traînons un peu des pieds. Je crois bien ne pas avoir envie d’aller dormir, pour la simple raison que je ne voudrais pas que cette aventure s’arrête.

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Je n’ai pas de mots pour décrire le tumulte d’émotions qui vient m’assaillir au fil des heures. Cette longue marche contemplative m’a totalement chamboulé, et malgré la fatigue et les douleurs variées, malgré les petites épreuves que nous avons du surmonter, je suis infiniment heureux d’avoir pu réaliser ce voyager, et plus encore de l’avoir partagé avec Dom.

J’anticipe ce que pourrait être le trajet du lendemain, mais je ne me doute pas une seconde que la réalité va, et de très loin, dépasser mes craintes les plus vives…

Epilogue

La fin d’un très beau voyage, le long retour à la civilisation, et des souvenirs immenses gravés à jamais !

Très tôt, nous quittons notre petit hébergement de montagne pour nous rendre à l’arrêt de bus local, où nous attend le vestige archéologique roulant qui doit nous ramener à la capitale, après un trajet prévisionnel de près de 12 heures.

A la vue de l’objet roulant bien identifié, mon estomac se noue, et un mauvais pressentiment me gagne. J’ai bien l’impression que monter dans ce tacot hors d’âge, pour sillonner des chemins et des routes de montagnes, signe un drôle de pari sur une mort imminente, aléatoire, et forcément douloureuse !

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La carlingue transpire la rouille sous une couche de peinture délavée, constellée de trous et de bosses, et les roues semblent tenir par une paire d’écrous sans doute bricolés à la main. L’intérieur est spartiate, et les sièges sont étroits et en très mauvais état. Je suis assis tout à l’arrière, au centre, et mon genoux droit rentre pile dans l’angle saillant d’un accoudoir métallique, sans possibilité de modifier ma position pendant les douze prochaines heures.

Je passerais tout le trajet enchâssé au milieu d’une rangée de 4 personnes où nous sommes assis à 6. Le reste du bus, après quelques dizaines de minutes et quelques arrêts, est plein à craquer ; Sur le toit sont rangés nos sacs, qui servent de sièges à une dizaine de personnes. Et sur le toit sont montées deux chèvres, portées là haut par leurs propriétaires…

Oui, nous voyageons avec un bus bondé, 10 personnes et deux chèvres sur le toit, dans une épave roulante qui tangue et tressaille à chaque aspérité du chemin qui nous ramène à Kathmandu.

Rendez moi l’avion de Lukla, par pitié !

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La longueur de l’itinéraire égale la pente qu’il nous faut régulièrement descendre ou remonter – alternativement – au bruit des freins qui peinent à nous ralentir, et à l’odeur de brûlé des dits freins, et de l’embrayage en souffrance. Les descentes durent toutes plus d’une demi heure, alors que l’odeur âcre de surchauffe nous parvient dès les premières secondes ; A tout moment, cette saleté rouillée risque de s’emballer et de nous précipiter au fond des ravins immenses qui bordent la maigre route que nous empruntons.

Une passagère est malade, c’est la voisine de Dom ; Elle tente de se retenir, mais au rythme des secousses et des virages, irrémédiablement, elle finit par régurgiter bien plus que ce que son frêle corps ne semble contenir de liquide. L’odeur nauséabonde se répand et se mêle aux effluves roussies des organes de sécurité en fusion, le trajet est interminable, dangereux, désagréable.

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Puis, par un miracle à peine dissimulé, nous entrons enfin sous la coupe de pollution de l’étouffante capitale Népalaise. Les routes sont meilleures, le rythme est plus constant, la sécurité aussi.
Les étendues sans fin de bâtiments précaires semblent indiquer que la vieillissante Kathmandu est bien décidée à phagocyter tout le pays, s’étendant à l’infinie de chaque côté de son épicentre et grignotant chaque bout de campagne, chaque morceau de verdure, chaque parcelle d’humanité.

C’est un monstre de briques rouges branlantes, un géant de porcelaine, chancelant, moche, et sans âme ; Un reflet réaliste de l’attrait de la ville pour les Népalais des campagnes, de l’espèce de « Rêve Américain » qui gagne tous les habitants du pays à la simple idée de pouvoir ouvrir un antépénultième commerce de bric à brac le long d’une ruelle obscure, mal nommée « boulevard » et finissant irrémédiablement par « road ».

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Cette fièvre, cet exode, s’est intensifié au fil des années ; Il faut dire que les campagnes népalaises, loin de l’attrait touristique de l’Himalaya – à l’opposé même ! Géographiquement, et financièrement – bourgeonnent certes de cultures, mais sont surtout le terreau d’une pauvreté immense. Le revenu par habitant, dans les campagnes, est incroyablement faible, ridiculement insuffisant. Aussi, l’attrait d’un petit commerce comme il en existe des dizaines de milliers dans cette ville de « tous les possibles » représente une source d’espoir énorme pour beaucoup ; Une fois la ruralité abandonnée, qui peut dire si la pauvreté de la ville, nouvellement acquise, sera réellement meilleure que la pauvreté des champs.

Kathmandu est une inépuisable source d’émerveillement dans ce qu’elle offre de brutalité, de misère, de détritus, mais aussi de temples séculaires, d’architecture grandiose, et d’enfants joyeux ; C’est un trésor de crasse, tout autant que le cœur tambourinant d’un pays à l’âme démesurément grande et belle.

Pendant ces trois derniers jours, avec Dom, nous prenons le temps d’en parcourir les recoins les plus sales, tout autant que les sites les plus touristiques. Nous sommes les témoins privilégiés de ces contrastes immenses qui caractérisent si bien ce Petit Tibet, et dont nous avons déjà pu prendre la pleine mesure.

Des gaths de crémation de Pashupatinath aux hauteurs de Swayambunath, des rues agitées de Thamel aux ruelles confidentielles de Freak Street ou de la vieille ville, dans les temples, les allées, les marchés ou au pied des stupas, nous explorons la ville, tout la ville. Nous discutons et échangeons, nous visitons, et apprenons.

Cette ville si repoussante au premier abord a énormément à offrir, à qui sait la dompter et en saisir les subtilités.

Les jours passent, et vient déjà le moment du retour. Quitter le Népal en fuyant le tumulte bouillonnant de sa capitale n’est pas vraiment difficile ; Les agressions répétées à nos sens nous poussent vers la sortie.

Pourtant, lorsque l’avion décolle, les yeux commencent à se perdre entre le grand Boddnath et l’immense Annapurna ; Ville ou montagne, les rencontres et les paysages se gravent durablement à chaque mètre d’altitude que nous gagnons. Je songe encore, alors que l’écran de mon siège indique une altitude de croisière de 8000m, que des hommes se tiennent debout, à quelques centaines de kilomètres de là, à hauteur de mon hublot, et même plus haut !

Une pensée un peu idiote, surréaliste, mais qui amène une certitude frappante : je veux revenir au Népal, et je veux grimper sur l’un de ces magnifiques sommets que nous avons pu entrevoir depuis l’avion ou du sol durant ces quatre dernières semaines !

Ce n’est pas un vœu, c’est une promesse que je me fais à moi même. Dans quelques années, je serais moi aussi debout au dessus de la terre des hommes ; Non pas pour dominer mes semblables, non pas pour satisfaire l’ego ou la performance, mais simplement pour contempler la beauté du monde de tout là haut, et, quelques minutes durant, me sentir vivre si intensément que rien ne semblera avoir la moindre importance en regard de l’instant.

Quatre semaines se terminent ; Elles ont changé le cours de mon existence, et dictées la partition de mes futures années, sur des notes de voyage, de découverte, de défis, de rencontres. Une quête perpétuelle semble se dessiner, et cette longue aventure tend désormais vers un seul projet :

Vivre des secondes d’éternité, et voler quelques instants suspendus.

De quoi remplir une vie satisfaisante !

Délices photographiques

Pour ceux qui n’aiment pas lire, ont déjà lu, ou veulent simplement poser leur regard sur une sélection d’images choisies !

– Photographies à 4 mains, par Dom (avec son aimable autorisation) et moi même –